On doit descendre un escalier de quelques marches dans Haret Kedis Girgis pour accéder à l'église St-Serge.
Il paraît naturel de commencer notre promenade dans le patrimoine copte de l'Egypte par une église qui est considérée comme la plus ancienne de la capitale égyptienne. Située dans l'une des rues étroites du Vieux Caire, près des anciens remparts romains, elle est de l'extérieur si discrète qu'on pourrait passer à côté sans même la voir. Il faut descendre quelques marches pour accéder à l'entrée. Et, là, à l'intérieur, on découvre l'une des merveilles de l'architecture paléochrétienne égyptienne. Pour les amoureux de l'architecture médiévale chrétienne, elle présente en outre l'intérêt de fournir un bon exemple de ces églises paléochrétiennes dont les exemples conservés sont rares en Europe et dont le modèle s'est pour l'essentiel élaboré en Egypte.
La nef centrale vue depuis l'iconostase, avec l'aile en retour et les tribunes.
L'église est dédiée à deux martyrs de la fin du IIIe s. , les soldats Sergius et Bacchus d'el-Rasafah, morts en Syrie durant les persécutions de Maximien ; les Egyptiens l'appellent Abu Serga 1. Mais surtout elle aurait été construite au-dessus de l'abri dans lequel la Sainte Famille aurait trouvé refuge durant la Fuite en Egypte. Cette église joua aussi un rôle important dans l'histoire des Coptes d'Egypte, puisque plusieurs patriarches coptes y furent élus du VIIe au XIe s. et qu'une tradition ancienne voulait que le patriarche nouvellement élu célèbre la messe dans la Mo'allaqa (église suspendue), puis une autre à Abu Serga. Elle fut le siège épiscopal de Masr el-Qadima 2.
Les tribunes au-dessus de l'une des nefs latérales.
Sa fondation remonte au IVe ou Ve s. , ce qui en fait la plus ancienne église du Caire encore visible, mais elle a été restaurée à plusieurs reprises. En 750, elle brûle par exemple durant l'incendie de Fustât, lors de la fuite en Egypte du calife omeyyade Abu Abd el-Malik Marwân II, et dut être restaurée une première fois au VIIIe s. Son plan, son architecture et ses éléments de décor en font l'un des monuments coptes à ne pas manquer lors d'une visite au Caire.
Le plan est de type basilical à trois nefs, selon la tradition copte ancienne héritée de l'Antiquité. Elle est divisée en 3 nefs par deux rangées de 6 colonnes, division tripartite qui se retrouve dans le sanctuaire. Les colonnes étaient à l'origine rehaussées de peintures représentant les Apôtres, dont il subsiste quelques vestiges, sauf une : en effet, 11 sont en marbre et une est en granit rouge ; cette dernière symboliserait Judas, qui dénonça Jésus. Les dimensions de l'édifice sont de 27m de long sur 17m de large, pour une hauteur maximale de 15m. La nef centrale est plus large que les nefs latérales, mais également plus haute ; en effet, les nefs latérales sont couvertes de tribunes, qui ouvrent sur la nef centrale par des baies rectangulaires à colonnettes et se poursuivent au-dessus de l'aile en retour ; dessous se trouvent des baies à arc brisé inspirées de l'architecture islamique. Nefs latérales et tribunes sont couvertes en charpente plate, tandis que la nef centrale est couverte d'une magnifique charpente cintrée. Selon un modèle égyptien, les deux nefs latérales sont reliées au sud-ouest par une aile en retour formant passage et séparée de la nef principale par des arcades.
Vue sur le sanctuaire depuis la nef centrale, avec à gauche l'ambon de marbre, au premier plan l'iconostase et à l'arrière le dôme de bois stuqué couvrant l'autel principal.
L'ambon 3 de marbre, placé dans la nef centrale, en avant du sanctuaire est une copie tardive ; l'original était en bois. A l'origine, la nef devait être séparée du sanctuaire par un khurus 4, selon le modèle égyptien, mais celui-ci a aujourd'hui disparu. A sa place se dresse une magnifique iconostase 5 des XIIe-XIIIe s. , qui compte parmi les merveilles du travail sur bois au Caire ; richement ornée de motifs géométriques et végétaux, elle se compose de panneaux marquetés d'ivoire et d'ébène, mais on y trouve aussi intégrées d'exceptionnelles icônes de bois sculpté datant du Xe s. (la Nativité, la Multiplication des Pains, st Demetrius, st Georges et st Theodore). Les marqueteries de l'iconostase montrent l'influence réciproque de l'art chrétien et de l'art islamique dans l'Egypte médiévale ; les inscriptions sont d'ailleurs rédigées en copte, mais aussi en arabe.
Détail de l'iconostase avec des inscriptions en incrustation d'ivoire, rédigées en copte et en arabe.
Dans le sanctuaire proprement dit se trouve au centre l'autel principal, couvert d'un dais de bois peint et stuqué et d'un dôme bulbeux de type islamique ; à l'intérieur est peint le Christ entouré d'anges. A la nef principale correspond une grande abside semi-circulaire dotée de 7 marches symbolisant les 7 degrés de la hiérarchie ecclésiastique copte : en effet, les religieux y prenaient place en fonction de leur rang. Elle conserve une riche ornementation de marbres et de mosaïques. L'abside nord-ouest est semi-circulaire elle aussi, tandis que l'abside nord-est est de plan quadrangulaire couvert d'une coupole sur trompes.
Mais la grande originalité de cette église est la crypte qui correspond à l'endroit où la Sainte Famille aurait séjourné quelque temps durant la Fuite en Egypte ; Joseph, selon la tradition, aurait travaillé dans l'ancienne forteresse romaine de Babylone d'Egypte 6. St Marc, venu à Alexandrie au Ier s., aurait attesté que ce lieu était déjà considéré comme sacré par les chrétiens d'alors. Ce qui est certain, c'est que cette crypte servait déjà de lieu de culte avant que l'église ne soit construite au-dessus. Elle se trouve juste au-dessous du sanctuaire actuel et est accessible par deux escaliers placés de chaque côté de l'autel principal de l'église supérieure. Elle aussi offre une structure tripartite, avec 3 nefs formées par deux rangs de colonnes supportant des arcs en plein cintre et terminées par des absides quadrangulaires. Malheureusement, la nappe phréatique provoque régulièrement son inondation et des travaux ont été entrepris pour assurer sa sauvegarde.
La crypte de la Sainte Famille.
Enfin, l'église conserve quelques icônes d'époques diverses et des panneaux de bois sculpté. Une grande cérémonie y est célébrée chaque année le 1er juin, lorsque les Coptes commémorent la Fuite en Egypte.
Synthèse de l'art chrétien et de l'art islamique dans le décor de l'iconostase.
Notes :
1 - " Abu ", qui signifie " père " en arabe, est le nom donné aux saints par les chrétiens égyptiens ; "Serga" est l'équivalent égyptien de "Sergius" ; on trouve aussi la forme gréco-égyptienne "Sarguis".
2 - Masr el-Qadima : nom arabe du Vieux Caire, ou Caire copte, qui correspond à l'ancienne fondation romaine tardive.
3 - Ambon : dans les églises paléochrétiennes, sorte de tribune maçonnée placée à l'entrée du choeur qui servait aux lectures des textes saints et à la prédication.
4 - Khurus : sorte de choeur, salle transversale qui vient s'insérer entre les nefs et le sanctuaire dans certaines églises égyptiennes à partir du VIIe s. C'est un élément typiquement égyptien.
5 - Iconostase : cloison de bois ou de pierre séparant les nefs, réservées aux fidèles, du sanctuaire, réservé au clergé qui y célèbre une partie des cérémonies à l'abri des regards ; elle est caractéristique des rites copte et orthodoxe.
6 - Babylone d'Egypte : nom sous lequel est connue la forteresse romaine qui a donné naissance au Vieux Caire.
Références et liens :
- Rév. Gabriel G. BESTAVROS, Notice sur l'histoire de l'église st. Sargius, la plus vieille église d'Egypte, où la Sainte Famille vivait pendant sa fuite en Egypte, Le Caire, s.d.
- Jimmy DUNN, The Church of Saints Sergius and Bacchus (Abu Serga) , in Tour Egypt, site du ministère égyptien du Tourisme.
- Article sur le site du musée Copte du Caire.