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26 janvier 2008 6 26 /01 /janvier /2008 03:40

C'est en 1517, profitant de l'affaiblissement de l'économie égyptienne et des dissensions entre les Mamlûk, que les Ottomans font la conquête de l'Egypte. S'ouvre alors une période souvent assez mal connue, qui est considérée par de nombreux historiens, tant arabes qu'occidentaux, comme une période de décadence. Et pourtant, l'époque ottomane a doté l'Egypte de monuments remarquables et y a laissé une empreinte durable dans la vie quotidienne - de nombreuses recettes de cuisine, entre autres, ou encore la façon de préparer le café.



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Selim Ier, sultan ottoman qui conquiert l'Egypte.


Durant la domination ottomane, l'Egypte est gouvernée au nom du sultan par un Pacha1, ou Wâli2, nommé directement par le souverain pour un mandat en général de courte durée ; il occupe dans la hiérarchie ottomane le rang de vizir3. Il doit verser au sultan chaque année un tribut, assurer la sécurité et l'organisation de la caravane de l'Afrique du Nord pour le pélerinage vers La Mecque, tout en étant chargé du ravitaillement du Hedjaz où se trouvent les villes saintes dont le sultan ottoman est désormais le gardien, comme l'étaient jadis les sultans égyptiens. Il est assisté dans son administration par de hauts fonctionnaires eux aussi nommés par la Sublime Porte4.




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L'Egypte n'est plus désormais qu'une province du vaste empire ottoman.



Le contrôle militaire du pays est assuré par les Odjak5, troupes d'infanterie, comme les janissaires, ou de cavalerie, qui résident en permanence en Egypte. La plupart de ces soldats sont Anatoliens ou originaires des Balkans et leur solde est prélevée sur le trésor local, ce qui n'est pas fait pour faciliter leurs rapports avec la population.


L'administration provinciale est confiée à des Kashif, ou " surveillants ", fonction que les Ottomans ont reprise de l'époque mamlûk. Progressivement, presque tous les kashif seront recrutés parmi les Mamlûk et recevront le rang de Sandjakbey6, souvent abrégé en Bey.



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Des troupes de mercenaires assurent la sécurité et le contrôle militaire de la province.


L'organisme essentiel du gouvernement dans l'Egypte ottomane est le diwan, ou conseil, constitué des officiers des odjak, des hauts fonctionnaires et des principaux religieux musulmans (ulema) du Caire7. Un petit diwan se voit chargé des affaires courantes.


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La société égyptienne se trouve bouleversée par la conquête ottomane.  Le nombre de Turcs proprement dits est relativement restreint ; il s'agit plutôt d'étrangers issus des différentes provinces de l'empire.


Les Ottomans conservent la tradition médiévale de recrutement des Mamlûk, qui débutent toujours comme esclaves. A cette époque, la plupart des Mamlûk viennent du Caucase et les Circassiens restent les plus appréciés8. Mais on en trouve aussi qui viennent des Balkans et même d'Europe occidentale, ainsi que des Egyptiens de souche et parfois des esclaves Africains. Ils reçoivent leur formation à Istanbul ou dans une autre province ottomane avant d'être envoyés en Egypte. Contrairement à la tradition médiévale, les enfants des Mamlûk peuvent suivre la carrière de leur père, mais cela reste marginal ; ce sont surtout les alliances matrimoniales qui sont privilégiées.



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Les Mamlûk restent de redoutables cavaliers, et trouvent leur place dans l'administration ottomane, sans pour autant renoncer à leurs velléités d'indépendance , ce seront en quelque sorte les Mamlûk de l'époque ottomane qui seront à l'origine de la "conscience égyptienne".


On ne cesse de faire venir de nouveaux esclaves ( " kul " ), qui sont vendus à un Mamlûk affranchi membre d'une maison mamlûk ( " Beyt " ) ; ils reçoivent alors une formation militaire dans la cavalerie. Une Beyt mamlûk est fondée par un chef (appelé " ostaz " , " ab ", " mawla " ou " sayyed " ) , qui donne son nom à cette maison9 ; il regroupe autour de lui ses esclaves mamlûk, mais aussi des affranchis qui sont liés à lui par une formation commune. Le lien entre les Mamlûk et leur maître est très fort, même après l'affranchissement, ce qui rend les jeux d'influence très complexes. L'affranchissement s'accompagne de l'obtention d'une fonction plus ou moins importante dans l'administration, sans que le lien soit rompu avec le maître. Ce n'est que quand un Mamlûk affranchi a atteint les honneurs suffisants qu'il peut fonder à son tour sa propre Beyt.

A ces liens de fidélité et d'honneur s'ajoutent des liens matrimoniaux. Les Mamlûk épousent en général les filles, l'ancienne épouse ou les concubines de leur maître. Les femmes mamlûk, qui sont elles aussi d'anciennes esclaves et étrangères, ont ainsi un rôle non négligeable. La fille d'un Mamlûk se mariera pratiquement toujours avec un Mamlûk.

De façon assez étrange, les Turcs qualifient les Mamlûk de " Misirli " ( Egyptiens, de l'arabe " Misr " désignant à la fois l'Egypte et Le Caire ) ; bien qu'étrangers, ils sont ainsi les seuls à être qualifiés d' " Egyptiens ". En réalité, dans l'esprit des Turcs ottomans,ce terme sert plutôt à désigner un membre non turc de l'administration qu'à signifier une appartenance ethnique.


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Même si les tensions sont nombreuses, les Ottomans marquent de leur empreinte la culture égyptienne.


Parmi les Egyptiens de souche, on distingue différentes catégories. D'abord, une distinction entre Egyptiens musulmans et Egyptiens chrétiens.

Les Egyptiens de souche de confession musulmane sont le plus souvent qualifiés d' " ibn el-balad " (littéralement : fils du pays) 10, qui équivaut à la notion d'autochtone. L'expression " awlâd el-3arab " (littéralement : fils des Arabes)  désigne le mélange ethnique issu du mélange entre les Arabes venus de la péninsule arabique lors de la conquête musulmane et les populations antérieures.

Mais le nom d' Arabe ( "3arabiy " ) est revendiqué par les tribus bédouines, qui font remonter leurs lignées aux premiers temps de la conquête arabe. 11

Le terme de " fellah " (littéralement : paysan) est utilisé de façon péjorative par les membres de l'administration turque pour désigner les Egyptiens de souche, quelle que soit leur classe sociale. 12 A cette époque, " fellah " signifie donc sujet, celui qui n'appartient pas à la classe dirigeante ( en arabe " ra3yya "). 13

Enfin, les Egyptiens de souche de confession chrétienne, les Coptes, sont largement marginalisés, ne représentant qu'environ 7% de la population de l'Egypte d'alors. Linguistiquement, ils ne parlent plus que l'arabe depuis la dernière période de l'époque mamlûk ; le copte n'est plus utilisé que pour la liturgie. La plupart sont paysans, et c'est en Moyenne-Egypte, entre Beni Souef et Girga, qu'ils sont les plus nombreux. Le XVIIIe s. est pour eux une période très dure, durant laquelle le nombre d'évêchés se réduit et la plupart des monastères sont abandonnés, tandis que l'on manque de prêtres ; à cela s'ajoute l'action des missionnaires catholiques, le Vatican s'efforçant de rallier les Coptes au catholicisme 14. Mais les prêtres et le peuple sont très attachés à leur liturgie, qui représente le dernier refuge de leur identité propre. C'est parmi les notables coptes des villes que se recrutent les intendants chargés des taxes et des revenus de l'Etat ; comptabilité et écriture sont toujours confiées à des Coptes, qui de ce fait jouent un rôle dans l'administration ottomane.



Cet aperçu rapide de la société égyptienne de l'époque ottomane n'est pas inintéressante pour comprendre l'Egypte d'aujourd'hui. D'une part, ces éléments permettent d'expliquer pourquoi l'Egypte actuelle a tant de mal à appréhender la période ottomane de son histoire et les ressentiments durables envers la culture ottomane qui sont encore sensibles. D'autre part, il éclaire également les origines de certaines tensions entre différents groupes sociaux ou culturels de l'Egypte contemporaine.



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Notes :

1- Pacha (en turc " pasha ", du persan " padeshah ") : titre élevé dans la société ottomane, qui était donné aux gouverneurs de provinces et aux généraux ; c'était aussi un titre honorifique que le sultan pouvait donner à une personne qu'il voulait distinguer. Avant la XIXe s. , seul le sultan peut conférer ce titre ; par la suite, le Khedive (= vice-roi)  d'Egypte le pourra aussi. La liste des Pacha d'Egypte jusqu'en 1796 est disponible dans la page sur l'époque ottomane.
2- Wâli : en arabe, ce terme désigne au Moyen Age les gouverneurs.
3- Vizir (en arabe " wazîr " ) : fonctionnaire de rang élevé, conseiller ou ministre d'un prince musulman.
4- Sublime Porte : nom donné à la porte d'honneur du grand vizirat à Istanbul, où sièger le gouvernement du sultan ottoman ; par extension, le terme est employé pour désigner le gouvernement ottoman lui-même, mais aussi Istanbul ouo encore l'empire ottoman.
5- Odjak (en turc " ocak " ): souvent traduit par "milice", en réalité troupes d'infanterie ou de cavalerie composées d'esclaves ou de mercenaires à l'époque ottomane.
6- Sandjakbey : le titre de Bey, qui désignait à l'origine chez les Turcs un chef de clan, était attribué à des chefs, turcs ou pas. Tandis que le terme de beylerbey désignait un gouverneur de province, celui de sandjakbey (en turc " sancakbey " ) qualifiait à l'origine un chef de régiment.
7- En particulier ceux qui enseignent dans la prestigieuse université d'el-Azhar, au Caire.
8- Comme ceux de la 2e dynastie mamlûk égyptienne, les Burgi Mamlûk, qui régnèrent sur le pays de la fin du XIVe s. à la conquête ottomane.
9- On trouve par exemple au XVIIIe s. la Beyt 3Alaweyya, issue d' Ali Bey, ou la Beyt Mohammedeyya, issue de Mohammed Bey Abo Dahab.
10- Cette expression est aujourd'hui encore employée par les Cairotes de souche pour se distinguer des provinciaux venus s'installer dans la capitale.
11- De nos jours encore, le terme "Arabe" désigne plutôt les Bédouins aux yeux de beaucoup d'Egyptiens.
12- Les Egyptiens le leur rendent bien en les qualifiant de " Rumiy " ( expression qui vient de "romain" ) pour bien marquer qu'ils sont étrangers.
13- Ainsi, on trouve par exemple au XVIIIe s. un groupe mamlûk très influent qualifié de "gama3at el-fellah " (littéralement : rassemblement des fellah), car il est composé de Mamlûk d'origine égyptienne.
14- Cette union ne sera que partiellement et tardivement réalisée, en 1895, entraînant la séparation entre Coptes orthodoxes et Coptes catholiques.

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