Le Chant de l'Exilé
- A la Terre natale -
La chair des grappes mûres enivrées de soleil
Etale sous les cieux sa divine paresse,
Et l'olive gonflée des saveurs antiques
Orne de perles oves les branches centenaires
Au détour des roches sourdes teintées de sang
Se déploie la splendeur des sauvages garrigues,
Qui noient dedans leur flot les épines gracieuses
Et la majesté juvénile des chênes apeurés
Les étendues sereines inondées de mystère
Plongent leurs pieds fragiles dans le miroir pudique
Et s'unissent, glorieuses, à la noble allégresse
Des noces langoureuses dans un soir de miel
Et les pins souverains, de leur ombre éthérée,
Ménagent des royaumes aux frontières radieuses
Dans lesquels l'âme pure en liberté navigue,
Restaurant, rêveuse, les fastes languissants
De l'antique splendeur de marbre et de poussière ;
Et la mer, rebelle, chérit dedans son ventre
Les secrets hésitants au goût d'infinitude,
Et, sur sa peau d'azur, traînent les voiles blancs
Des charmes oubliés aux savoureuses lames ;
Là-bas sur l'horizon, où la terre et le ciel
Intimement mêlés tracent une ligne bleue,
S'ouvre l'Orient si beau au doux parfum d'Ailleurs
Par les chagrins de miel au parfum entêtant,
Les rêves glorieux ivres de solitude,
Sous un ciel si pur qu'un glaive d'or éventre,
Provence, ô douce Mère, Toi baignée de lumière
De sublimes poisons et de nobles senteurs,
De nacres orgueilleuses et d'ocres généreux,
De liberté farouche et de folies charnelles,
Tu tissas, ô ma Mère, mon invisible drame
Dans le froid de l'exil j'implore ton pardon !
Que ne donnerais-je pas à ton sein généreux
Pour retrouver enfin les limpides rivages
Qui baignèrent, en leur temps, mes jeunes espérances !
Ô perle étincelante sur l'ourlet de la France,
Ô sublime torpeur des étendues sauvages !
Je pleure les doux liens que nouèrent les dieux
Et désire plus que tout en cette morne prison
Cueillir enfin les fruits qui ont mûri en moi
Par la seule magie de tes tendres émois
Kaaper Nefredkheperou - Paris, mars 1994