Carte localisant Nag Hammâdî en Egypte, entre Sohag et Qenah.
A la fin de 1945, des fellah1 égyptiens font sans le savoir l'une des plus grandes découvertes du XXe s. sur le christianisme des origines. La scène se passe près de Nag Hammâdî, au pied de la falaise du Gebel el-Tarif 2. Le groupe de paysans déterre sur le site d'un ancien cimetière situé près du hameau de Hamra Dom une jarre contenant 55 manuscrits sur papyrus. L'un de ces fellah, Mohammed Ali Samman, les ramène dans son village d'el-Qasr, distant de 2km, et les stocke dans sa cour ; on dit que la mère de Mohammed Ali, craignant que les vieux papyrus n'apportent des problèmes, en aurait détruit une partie. Puis il les cède à un antiquaire ou à un prêtre copte, selon les versions, qui les ramène au Caire et les revend à d'autres antiquaires. Le directeur du Musée copte acquiert le premier mansucrit en octobre 1946. La découverte est officiellement annoncée en 1948 par Togo Mina, directeur du Musée copte, H.-Ch. Puech, membre de l'Institut, et Jean Doresse, du CNRS. En 1956, pour éviter que les précieux manuscrits ne quittent le pays, le Département des Antiquités égyptiennes et l'administration égyptienne des musées déclarent propriété nationale les codex de Nag Hammâdî encore disséminés chez les antiquaires du Caire. Ils sont mis en dépôt au Musée copte du Caire 3, où ils ont pu être tous rassemblés.
Mohammed Alî Samman , qui a découvert les manuscrits, et sa mère, Omm Ahmed.
On ignore aujourd'hui encore l'origine de ces manuscrits, qui, contrairement à ceux de Qumran 4 sur la mer Morte, sont reliés en 13 codex 5 protégés par des étuis en cuir. Ils ont été enterrés vers le IVe s. dans un lieu qui n'est pas anodin : c'est la région où s'installèrent des monastères 6 comptant parmi les premiers d'Egypte, sous l'impulsion de st Pacôme. On ignore s'ils furent cachés par les membres d'une secte gnostique pour les protéger des persécutions, ou s'ils provenaient de la bibliothèque d'un monastère chrétien qui les étudiait pour mieux combattre l' "hérésie" ou qui les aurait enlevés de sa bibliothèque quand les écrits gnostiques furent déclarés hérétiques.
Grâce aux études menées, on peut les dater entre le début du IIe et le IVe s. L'étude des textes suggère que les originaux devaient être des textes rédigés en grec en milieu judéo-chrétien au IIe s. , grande époque du gnosticisme d'Alexandrie. Ils auraient été traduits en copte aux IIIe et IVe s. Les reliures de cartonnage et de cuir datent quant à elles des IIIe et IVe s. 7
Les codex appelés " bibliothèque de Nag Hammâdî ", avec leur protection de cuir.
Ce qui fait de ce qu'on a appelé la "bibliothèque de Nag Hammâdî " une découverte exceptionnelle, c'est que c'est la première fois que l'on dispose d'un si riche ensemble de textes gnostiques. Ce sont des traductions en langue copte 8 d'écrits originaux. Jusqu'à leur découverte, les chercheurs n'avaient pu étudier que de rares manuscrits gnostiques isolés et surtout ce que les textes des Pères de l'Eglise 9 en disaient, non sans partialité évidemment. L'UNESCO a financé la reproduction en fac-simile photographique des manuscrits pour permettre leur étude par les chercheurs. Des traductions en anglais et en français sont parues dès les années 1970.
Mais qu'est-ce exactement que la Gnose ? Jacques-E. Ménard, de l'Université de Strasbourg, l'un des principaux acteurs de l'édition de ces textes en français, nous le résume très bien : " (...) une idéologie religieuse des premiers siècles chrétiens (...) qui se révèle aujourd'hui plonger des racines profondes dans des origines préchrétiennes (...). La Gnose n'est pas une hérésie chrétienne. C'est avant tout une religion de salut qui repose sur la connaissance par l'homme de son propre "moi" : c'est en se reconnaissant lui-même que l'homme doit retrouver ses origines divines. Si la Gnose est une connaissance des mystères du monde(...) elle demeure toujours de l'ésotérisme. Seul l'homme spirituel est sauvé, en se libérant de la sphère matérielle où il est plongé. Il doit reconnaître qu'il est porteur d'une semence, d'une étincelle céleste." 10 La Gnose a eu une influence non négligeable sur le christianisme des origines, ne serait-ce que parce que la pensée chrétienne officielle, avec laquelle elle fut en rivalité, se définit souvent par rapport à elle.
L'évangile selon st Thomas est un des textes de Nag Hammâdî qui ont fait le plus couler d'encre ; dans la tradition catholique, Thomas l'Apôtre est l'incrédule... et apparaît tout autre dans son évangile apocryphe. Peinture sur bois de Rembrandt (détail).
Evidemment, cette découverte a fait couler beaucoup d'encre, suscité bien des polémiques et entgendré rumeurs et fantasmes. Bien sûr, l'Eglise catholique s'est émue de voir remis au jour des textes qu'elle avait combattus et dont certains allaient s'emparer à nouveau pour émettre des critiques à son égard. Le Vatican a réaffirmé sa position considérant ces textes comme n'étant pas reconnus comme compatibles avec la foi catholique. Mais on a beaucoup fantasmé sur les pressions du Vatican pour empêcher la diffusion et la publication des textes. Des ésotéristes en tous genres ont également spéculé sur la base de ces textes, en particulier dans les milieux rosicruciens.
Au-delà de ces questions d'opinion ou des véritables délires de certains, l'intérêt scientifique de ces textes est de permettre une meilleure approche de l'effervescence intellectuelle, philosophique et religieuse d'Alexandrie dans les premiers siècles de notre ère. Ainsi que de porter un nouvel éclairage sur le contexte dans lequel s'est développé le monachisme en Egypte.
St Pacôme le Grand d'après une icône copte. Deux monastères de son obédience se trouvent à peu de distance de Nag Hammâdî.
Nous reparlerons de la Gnose et de certains aspects des textes de Nag Hammâdî dans de prochains articles sur le milieu intellectuel alexandrin et les débuts du christianisme. Dans une page regroupant des informations et références sur les textes coptes, vous trouverez la liste complète des textes de Nag Hammâdî.
Notes :
1- Fellah signifie " paysan " en arabe égyptien ; pour faciliter le compréhension, nous n'avons pas adopté le pluriel arabe, fellahîn.
2- Gebel el-Tarif : site archéologique où ont également été retrouvées des tombes royales, réoccupées par les moines. Dans l'Antiquité, le site était connu sous le nom de Chenobskion.
3- Musée copte du Caire est situé dans le Vieux Caire (Masr el-Qadima).
4- Qumran, où furent découverts en 19 d'autres manuscrits du judaïsme et christianisme ancien près d'un site essénien. On parle aussi couramment de " manuscrits de la mer Morte ".
5- Codex : type de reliure qui relie les manuscrits en feuillets, comme les livres actuels ; dans l'Antiquité, on utilisait plutôt des rouleaux, qui étaient le mode le plus fréquent jusqu'au IVe s. En principe, le pluriel de codex est codices ; mais nous avons renoncé au pluriel latin pour faciliter la compréhension.
6- Les monastères pacômiens de Phbow et Tabennes.
7- Les cartonnages des reliures contiennent des textes divers des IIIe et IVe s. : contrats de tisserands, lettres privées, factures de vin et de céréales, notices officielles, fragments de la Genèse peut-être rassemblés par des moines pacômiens, lettres adressées à des moines.
8- Deux dialectes coptes de Haute-Egypte.
9- On appelle " Pères de l'Eglise " des personnalités, des premiers siècles du christianisme pour la plupart, dont les textes et la pensée sont reconnus comme établissant les fondements de la pensée chrétienne considérée comme conforme et ont combattu les hérésies. Leur liste est fluctuante, chez les catholiques comme chez les orthodoxes.
10- In " Nag Hammadi, bibliothèque gnostique au bord du Nil ", Dossiers Histoire et Archéologie n°70, février 1983, p. 9.
Références et liens :
- " Nag Hammadi, bibliothèque gnostique au bord du Nil ", Dossiers Histoire et Archéologie n°70, février 1983, p. 9.
- une bibliographie en anglais est disponible sur le site de l'Institute for Antiquity and Christianity de l'universite de Claremont (Californie), qui a participé au travail de conservation et d'étude des manuscrits.
- Un lien en français très intéressant sur les textes de Nag Hammâdî et leur portée, en particulier l'évangile de Thomas. Vous y trouverez aussi un récit détaillé de leur découverte et de leur parcours avant qu'ils ne soient rassemblés au Musée copte du Caire.
- la traduction en anglais de quelques textes de la " bibliothèque de Nag Hammâdî ".