Cassien (en latin Cassianus ) 1 n'est pas reconnu comme saint par l'Eglise catholique - il est cependant considéré comme un saint dans la tradition provençale ; il figure par contre parmi les saints de l'Eglise orthodoxe. C'est pourtant lui qui est considéré comme l'introducteur du cénobitisme2 en Occident, dès le Ve s. , bien que des premières formes de " monastères " aient existé avant qu'il ne fonde le sien à Marseille.
Cassien représenté sur une fresque orthodoxe.
On ne sait que peu de choses de sa biographie, et encore de nombreux points sont-ils sujets à controverses. Il serait né vers 360 en Scythie3 , dans une région de l'empire correspondant à l'actuelle Roumanie, selon la tradition la plus courante. Issu d'une famille aisée, il entre très jeune en religion dans le monastère de Bethléem4 . Vers 385, il visite les lieux saints de Palestine et surtout se rend auprès des moines égyptiens du Delta, ce qui aura une influence décisive sur sa pensée et sa vie. Il passe environ dix ans en Egypte, dans différents monastères, en particulier à Skété5 . En 400, il est à Constantinople, où il reçoit l'enseignement de saint Jean Chrysostome, qui l'ordonne diacre. Lorsque Jean Chrysostome est frappé d'exil, Cassien se rend vers 405 à Rome pour plaider sa cause auprès du pape. C'est vers 415 qu'il arrive en Provence et fonde à Marseille deux des premiers monastères d'Occident, St-Victor pour les hommes et St-Sauveur pour les femmes, de part et d'autre du Lacydon. Il y meurt entre 435 et 440 6.
St Victor, martyr marseillais du IVe s. sur la tombe duquel Cassien fondera son monastère provençal, d'après une icône copte d'Egypte.
Comme les autres pères de l'Eglise provençale, comme Fauste de Riez7 et Vincent de Lérins8 qu'il a fortement influencés, il pense, contrairement à saint Augustin, que la grâce de Dieu se conjugue au libre arbitre de l'homme : c'est ce qu'on appelle le semi-pélagianisme9, qui sera condamné en 529 par le concile d'Orange. Ce concile condamnera ainsi Cassien et un certain nombre de moines provençaux. Ce qui n'empêchera pas que ce soit sur les écrits de Cassien que s'appuiera saint Benoît pour rédiger la règle bénédictine. St-Victor de Marseille, établi sur le site de la sépulture de ce martyr marseillais10, deviendra l'une des plus grandes abbayes de Provence et reste l'un de ses joyaux architecturaux, dont nous reparlerons. Et les moines cassianites auront dans la région une grande influence.
L'abbaye St-Victor de Marseille, haut lieu de la chrétienté provençale et joyau architectural du Moyen Age qui renferme ses origines paléochrétiennes dans la crypte.
Nous connaissons trois écrits de Cassien 11 :
- De Institutis coenobiorum et de octo principalium vitiorum remediis ( connu en français sous le nom Institutions cénobitiques), écrit en 421 à la demande de l'évêque Castor d'Apt, sous forme d'un traité en 12 livres consacré à la vie monastique et aux défauts qu'il faut combattre pour mener une vie pure. Sa définition de la vie monastique s'illustre de son expérience vécue en Egypte.
- Collationes patrum in Scithico eremo commorantium (en français Les Conférences), écrit vers 426, composé de 24 conférences dans lesquelles Cassien raconte son expérience dans les monastères d'Egypte.
- De Incarnatione Domini contra Nestorium (en français Contre Nestorius), traité rédigé vers 429 à la demande de Léon Ier, dans lequel il rassemble des preuves tirées des Ecritures de la nature divine du Christ et du statut de Marie comme Mère de Dieu.
Les Kellia, vestiges des cellules dans lesquelles les moines des déserts égyptiens se retirèrent dès le IIIe s.
Comme le dit soeur Marie Ancilla, qui lui a consacré un intéressant ouvrage (voir les liens), " Cassien établit un pont entre le monachisme d'Orient et celui d'Occident. (...) Cassien a apporté en Occident l'essentiel de la spiritualité orientale. " Ce que l'on peut donc retenir à travers Cassien, c'est que c'est un moine formé auprès des moines des déserts égyptiens qui a sinon introduit en Occident le monachisme, du moins a contribué à sa formation et à son développement sur le modèle égyptien. Ainsi, nos plus anciens monastères ont un lien souvent méconnu avec les déserts d'Egypte ; nous verrons d'ailleurs que certaines formes architecturales elles-mêmes ont été importées de l'Egypte paléochrétienne.
Notes :
1- Le prénom " Jean " semble avoir été attaché plus tard à son nom latin, par référence à son maître Jean Chrysostome.
2- Il y a deux formes de monachisme dans le christianisme ancien : l'érémitisme, pratiqué par les ermites qui se retirent seuls au désert ; et le cénobitisme, ou vie monastique en communauté.
3- Selon les auteurs, la date de sa naissance varie dans la décennie située entre 350 et 360. Le lieu de sa naissance est également controversé : Gennadius dit qu'il est originaire de Scythie ( " natione Scytha " ) ; certains objectent là une confusion avec la région de Skété, en Basse-Egypte, où Cassien a séjourné parmi les moines ; d'autres placent sa naissance en Provence, dans une petite ville gréco-romaine appelée Citharista (auj. La Ciotat, ou plus exactement Ceyreste, à la limite entre le Var et les Bouches-du-Rhône), dont le nom aurait ensuite été confondu avec celui de la province de Scythie.
4- Alors dans la province romaine de Syrie. Fondé par st Jérôme, qui y meurt en 419.
5- Région désertique située à l'ouest du Delta, connue sous le nom de Nitrie (auj. Wadi Natron en arabe, ou Shee-Hyt en copte) dans laquelle s'étaient installés des ermites et moines dès le IIIe s.
6- Là encore, la date de sa mort est très fluctuante en fonction des sources et des auteurs, et varie entre 434 et 458 ! La fourchette retenue dans l'article est la plus communément admise.
7- Faustus (vers 410-495), abbé de Lérins, près de Cannes, et évêque de Riez (Alpes de Haute-Provence).
8- Vincent de Lérins (mort vers 440), moine de Lérins.
9- Forme altérée de la doctrine professée par le moine breton Pélage (v. 350-420), qui minimise le rôle de la grâce divine et nie la notion de " péché originel ", l'homme pouvant disposer de son libre arbitre. Ce courant est jugé comme hérétique dès le Ve s.
10- Saint Victor, ancien soldat romain de la légion thébaine, martyrisé à Marseille en 303 sous le règne de Dioclétien et Maximien Hercule. Il est également considéré comme un saint par les Coptes d'Egypte.
11- Condamnés comme apocryphes par l'Eglise catholique.
Liens :
- Un ouvrage de soeur Marie Ancilla sur Cassien (Marseille, 2002), disponible en ligne au format pdf, avec une introduction biographique (en français).
- Un chapitre du rév. Edgar C. S. Gibson sur Cassien (en anglais).
- Pour les ouvrages de Cassien en ligne : Les Institutions cénobitiques sont disponibles en français dans une traduction de E. Cartier (1872) ; les Conférences sont disponibles en anglais par une traduction du même rév. Edgar C. S. Gibson , mais aussi en français dans une traduction de E. Cartier (1868).