Une demeure perdue quelque part entre rêve et réalité, dans les sables du désert égyptien ou sur les flots de la Méditerranée. Tournée vers l'horizon, les horizons divers... Les horizons de l'Est et de l'Ouest, comme disaient les anciens Egyptiens... Une demeure un peu folle, pour abriter des rêves un peu fous, des passions, des émotions, des coups de coeur...
La religion égyptienne antique est extrêmement complexe et déroutante, et de ce fait pas toujours évidente à comprendre. Comme la plupart des religions dites " polythéistes ", elle a une tendance au syncrétisme, c'est-à-dire à réunir plusieurs divinités en une seule, ou réunir plusieurs divinités en une divinité aux aspects multiples ; d'autre part, là encore comme d'autres religions " polythéistes ", elle comporte en réalité, dans les croyances des lettrés et initiés, une sorte de monothéisme de fond, puisque les divinités ne sont conçues que comme les divers aspects d'une réalité inaccessible à l'esprit humain qu'on pourrait qualifier de " Divin ". Tout au long de l'histoire égyptienne, les divinités se sont réunies et combinées, et ce jusqu'à l'époque tardive. Certaines divinités anciennes ont ainsi parfois été totalement assimilées pour ne devenir que l'un des aspects d'une autre divinité prédominante.
A l'époque tardive, loin de connaître un déclin, la religion égyptienne connaît une effervescence au contact des religions étrangères et, selon sa vieille habitude, c'est par le syncrétisme qu'elle évolue dans la continuité. Un bon exemple en est fourni par le type de statuettes que j'ai choisi de vous montrer aujourd'hui et que l'on qualifie de " panthées ", c'est-à-dire réunissant en une seule figure les aspects de différentes divinités. Elles présentent l'avantage de réunir en une seule figure les attributs et pouvoirs protecteurs de plusieurs divinités. Au premier abord, la complexité des éléments rassemblés dans ces statuettes en font des représentations curieuses et surprenantes, qu'on a du mal d'emblée à identifier. L'exemple que nous retiendrons est celui d'Amon-Rê panthée, mais il existe d'autres divinités qui ont fait l'objet de telles représentations à l'époque tardive.
Amon-Rê panthée ( statuette de bronze, haut. 45 cm, Epoque tardive, fouilles de J. E. Quibell à Saqqarah en 1912, Musée Egyptien, Le Caire ).
D'emblée, si on ne considère que les éléments de base de cette statuette, on reconnaît le dieu Amon-Rê, avec sa couronne caractéristique formée de deux hautes plumes sur les cornes de bélier, les cobras et le disque solaire. Mais un certain nombre d'éléments sont déroutants et inhabituels, comme la seconde paire de bras ouverte et ailée, ou des détails placés sur le corps nu du dieu.
De nombreux détails font référence à diverses autres divinités sur la statuette quand on l'examine de plus près. Les bras aux ailes déployées sont en principe caractéristiques de la déesse Isis dans son rôle de magicienne et de protectrice ; Isis et sa soeur Nephtys déploient ainsi souvent leurs ailes en contexte funéraire pour protéger le défunt. On pense également aux ailes déployées de la déesse vautour Nekhbet, également dans un rôle protecteur.
Sur les bras ailés, on voit à l'avant posées la tête de babouin du dieu Thot, sur le bras droit, et celle de vache de la déesse Hathor, sur le bras gauche. A l'arrière, ce sont la tête de vautour de la déesse Nekhbet sur le bras droit et celle de lionne de la déesse Sekhmet sur le gauche. Sur la poitrine du dieu se trouve le scarabée du dieu Khepri, ce qui rappelle les coutumes funéraires : une amulette de scarabée était placée sur la poitrine de la momie.
Sur le ventre, au-dessus des parties génitales, et sur les deux genoux sont placées des têtes de lionnes, attribut de la déesse Sekhmet.
On retrouve sur la face arrière de la statuette d'autres détails qui suivent le même schéma syncrétiste.
A l'arrière de la tête se trouve le bélier d'Amon aux cornes recourbées, coiffé du disque solaire et du cobra. A la base des plumes de la couronne, au centre des cornes horizontales, prend place une tête du dieu Bès, là encore une divinité protectrice, associée aux naissances royales dans les mammisi des temples. Au-dessus, un cobra coiffé de la couronne atef, attribut d'Osiris à l'origine, surmontée du disque solaire.
Enfin, dans le dos du dieu se trouve un faucon aux ailes déployées, Horus lui aussi fréquent dans un rôle protecteur en contexte funéraire royal ; ses pattes enserrent la taille du dieu.
On le voit, ce type de statuette a une fonction apotropaïque, réunissant les pouvoirs de différentes divinités dans un rôle protecteur pour éloigner les influences néfastes. Les allusions aux pratiques magiques des rites funéraires y sont particulièrement évidentes, faisant penser aux nombreuses amulettes placées sur le corps du défunt au cours de l'embaumement.
Voici un autre exemple de statuette d'Amon-Rê panthée ( bronze, haut. 23,2 cm , Epoque tardive, provenance inconnue, Musée Egyptien, Le Caire ). Ici, le dieu est identifié par l'inscription en caractères démotiques qui figure sur le socle. S'il a bien la tête de bélier du dieu Amon, son corps adopte la posture caractéristique du dieu Bès.
Ici le dieu Amon à tête de bélier est coiffé de la couronne atef surmontée du disque solaire. Traditionnellement, c'était plutôt le dieu bélier Khnoum qui portait la couronne atef, ce qui montre sans doute un rapprochement entre les deux divinités. De chaque côté des pieds du dieu, sur le socle, se trouvent deux crocodiles, attributs du dieu Sobek qui est lui aussi un dieu protecteur. Sur les genoux, on retrouve les deux têtes de lionnes ( Sekhmet ) observées sur la statuette précédente.