Après une navigation de nuit, nous accostons à Edfou. Là encore, des images de toujours envahissent ma tête, ces photos vues mille fois dans mes livres, ce lieu que j'ai hâte de découvrir. Le trajet du bateau au temple se fait en calèche ; passage obligatoire pour les touristes, mais qui me met un peu mal à l'aise. En effet, si mes parents font le trajet avec nos nouveaux amis, pour ma part je suis avec un couple avec lequel nous n'avons eu que peu de contacts. Les calèches nous déposent à l'entrée du soukh qui précède l'accès au site ; il faut beaucoup de persévérance pour passer droit à travers, mais enfin nous y sommes.
Le superbe décor du premier pylône, où l'hellénisme se plie aux règles égyptiennes...
On arrive par l'arrière du temple, qu'il faut contourner pour gagner le pylône d'entrée. Une fois de plus, c'est un temple tardif qui s'offre à nos regards, tel que je l'imaginais. Et une fois de plus, je suis ébahi de remarquer sur la façade magnifique des traces de polychromie qui ont résisté à l'usure du temps. Edfou est plus imposant encore que Philae, il s'en dégage une forte impression de puissance qui fait oublier la ville moderne qui grouille tout autour. Dans la cour, je m'adonne, vous y êtes habitués maintenant, à mon passe-temps favori : détailler les chapiteaux, qui là aussi sont remarquables. Cette cour est majestueuse, ménageant un effet de trompe-l'oeil qui la fait paraître plus vaste qu'elle n'est. Gaby et moi refusons de nous plier au rituel touristique de la photo devant l'Horus d'Edfou, malgré l'insistance de nos proches ; d'ailleurs, ils insistent tellement que nous finissons par jouer les garnements "touristoclastes " et consentons à une photo, mais cachés derrière l'Horus d'Edfou : effet garanti, on nous prend pour des fous furieux ! Et ma mère râle de ne pas avoir la photo de son fils devant l'Horus d'Edfou...
La cour, majestueuse...
Il y aurait beaucoup à dire sur ce temple si nous abordions le monument sous l'angle de l'histoire et de l'histoire de l'art. Mais pour l'heure, nous en resterons au récit de la journée. Après la visite guidée, Amr nous laisse du temps pour nous promener seuls dans le temple. Mon beau- père et moi nous trouvons littéralement coincés dans le saint des saints, près du naos du dieu, par un groupe d'anglais hystériques qui nous bloquent toute issue : aspect franchement désagréable du tourisme de masse ! Bref, nous jouons des coudes, bouttons quelques Anglais hors de notre passage, et échappons de justesse à une vague de Japonais (style soudaine marée humaine...) qui s'apprête à prendre le relais. En résumé, je dois l'avouer : cette visite d'Edfou a été un peu gâchée par la cohue de touristes ; et encore était-ce relativement tôt le matin ! Il faut dire que nous avions pris du retard à la suite d'un cafouillage avec les calèches (Hani avait piqué une crise avec les cochers qui, les pauvres, demandaient un prix que lui jugeait excessif), puis à essayer de retrouver un couple de retraités un peu perdus dans ce voyage peu adapté pour eux et qui leur causait quelques petits désagréments...
Le naos du dieu, au plus profond du temple... lieu d'un combat épique pour ressortir !
Par contre, la visite de la "galerie de la victoire", qui entoure le temple, est un régal, nous y bénéficions d'une atmosphère plus paisible. On pourrait passer des heures à en admirer les reliefs fourmillant de détails, comme ces bateaux représentés de façon très réaliste, avec leur gréement.
Un bel exemple des vestiges de décors polychromes qui ornent encore certains reliefs du temple : vous voyez les motifs sur le trône et la rangée d'étoiles ?
A l'issue de la visite, traversée du soukh dans l'autre sens. J'ai tellement traîné lors de ma promenade solitaire sur le site du temple qu'un nouveau défi m'attend : traverser d'une traite le soukh et retrouver la calèche et le couple en question. Je ne m'en sors pas trop mal, récoltant au passage un "tu n'es pas gentil, monsieur ! " de la part d'un marchand chez lequel je refuse de m'arrêter, et distribuant quelques "mafeesh fulus " pour la prononciation desquels l'expérience m'aura entraîné ! Reste le défi de la calèche. C'est une vraie cohue de calèches, impressionnant ! Je finis par retrouver la mienne (nous avons en poche le nom du cocher et le numéro de la calèche...) grâce à un Egyptien qui voit que je galère un peu. Le couple n'est pas là, mais le cocher est très sympathique, je lui offre une cigarette et nous entamons la conversation. Les touristes tardent, mais cela me laisse le temps de m'imprégner de l'atmosphère de la ville, car le cocher m'a fait monter et nous nous sommes un peu éloignés de la cohue. Là, j'ai soudain ce qui fut l'un des grands moments de plaisir du voyage ; je suis seul au milieu des Egyptiens qui vaquent à leurs occupations, je réalise que je pourrais avoir peur, mais qu'au contraire j'oublie l'aspect touristique et me fais tout petit pour admirer ces images d'une autre Egypte : les hommes assis dans un café à fumer la shisha, une femme pressée voilée de noir selon la tradition des campagnes (je veux dire par là, pas une monaqaba), des petits groupes qui discutent à l'ombre, une agitation bien orchestrée...
La Galerie de la Victoire, avec ses consoles protégeant le sanctuaire (à gauche).
Puis les retardataires arrivent. Ils ont bien sûr traîné au soukh et se chamaillent au sujet de ce qu'ils ont acheté, l'une disant qu'elle a fait une affaire et que ça valait le coup d'insister, l'autre disant qu'elle s'est fait arnaquer, etc. Avec bien sûr quelques remarques pas très sympathiques pour nos hôtes égyptiens, auxquelles j'ai bien du mal à ne pas réagir ; mais je crois que mon regard trahit mes pensées, parce qu'ils cessent tout à coup... Décidément, j'ai du mal à comprendre qu'on puisse venir dans un pays et ne pas s'intéresser aussi à sa population... Retour sur le bateau pour le déjeuner, je suis soulagé de retrouver les miens, et Gaby me fait vite retrouver ma bonne humeur, son sens acéré de l'humour me fait du bien. Le bateau reprend sa navigation vers l'écluse d'Esna...
L'Horus d'Edfou, tout seul, na ! Je vous prie de croire que cette photo n'est pas facile à faire... Il faut sérieusement ruser pour avoir le divin Horus seul, et non flanqué de son sempiternel touriste !