Il y a beaucoup à faire et à voir à Aswan, d'où la frustration là encore qu'on ressent obligatoirement lors d'un circuit organisé. En même temps, cela permet de se fixer un objectif essentiel : revenir et prendre le temps. Par exemple, je n'ai vu les tombes des nobles d'Elephantine que de loin, je ne suis pas allé sur l'île Elephantine, pas plus que nous n'avons eu le temps de visiter le musée nubien, la carrière de granit avec l'obélisque inachevé, etc.
L'une des journées que nous avons passées à Aswan nous a pourtant réservé ce moment délicieux d'une promenade sur le Nil à bord d'une felouque, ces élégantes embarcations qui voguent lentement sur le fleuve. Car le sentiment premier, et que j'ai adoré, c'est la lenteur, cette lenteur orientale faite de calme et de sérénité ; cette lenteur qui permet de goûter l'instant. Naviguer ainsi sur le Nil quand on a de l'imagination, c'est découvrir aussi un autre aspect de la civilisation égyptienne, celle de l'immensité du temps et de l'espace, de la petitesse de l'homme. C'est en même temps une présence rassurante que celle du fleuve, la vie qui s'écoule au coeur du désert. Quand les touristes daignent se taire, et ce fut le cas dans notre groupe car nous étions tous sous le charme, c'est un moment réellement magique. Je me dis que ce doit être enchanteur de faire une croisière en dahabieh ou même en felouque, comme on le propose en alternative aux hôtels flottants...
Nous avons fait une première étape sur l'île Kitchener, un jardin magnifique planté au milieu du fleuve, avec ses innombrables essences de plantes, son calme et ses chats pas sauvages du tout. Vous vous doutez bien que je n'ai pas pu résister au plaisir de faire ami-ami avec les matous égyptiens... Pour débarquer sur l'île, le principe est assez amusant - le même, d'ailleurs que pour embarquer : les felouques accostent les unes contre les autres et on descend à terre en passant de felouque en felouque, ce qui peut se révéler parfois épique ! Ce que je vous conseillerai concernant l'île Kitchener, c'est de prendre le temps de goûter le paysage depuis l'une des extrémités de l'île, c'est extraordinaire là encore.
Ensuite, retour à bord de notre embarcation pour une promenade à dos de chameau - en fait, ce sont bien sûr des dromadaires, mais on dit toujours "chameau", "gamal" en égyptien. Je sais, ça fait très touriste, mais j'ai toujours rêvé de monter sur un dromadaire et ma soeur ayant fait son baptême de dromadaire en Arabie, ça m'avait donné encore plus envie de vivre cette expérience, après ce qu'elle m'en avait dit. Bref, nous accostons sur la rive Ouest : pour le coup, véritablement épique ! Je vous explique : il s'agissait de descendre de la felouque sur une planche, une rame tendue par l'un des bateliers égyptiens servant à s'assurer et garder son équilibre ; mais surtout, à l'arrivée, on se retrouve sur un escalier aux marches très étroites et recouvertes de sable : cocktail total pour une chute assurée à la moindre inattention ! C'était assez drôle.
Nous arrivons au lieu où nous attendent les chameliers et nous répartissons sur les montures, notre accompagnateur, Hani, réglant la circulation. Les couples relativement légers montent à deux ; j'ai la chance d'être assez corpulent à l'époque, je monte donc seul. Le dromadaire se retourne et pousse un cri qui pourrait signifier : "Au secours ! Pas celui-là !" ou "Pourquoi est-ce que ça tombe sur moi ?". Le départ se passe bien, monsieur dromadaire se résigne et ne me secoue pas trop en se redressant. Le moment, malgré le kitsch de la balade pour touristes, est magique malgré tout ; une longue colonne de dromadaires s'étire dans la petite portion de désert qui sépare notre lieu de départ du village nubien situé dans une boucle du Nil où la promenade doit s'achever. Evidemment, mon imagination part au galop... Nous passons devant les ruines du monastère St Siméon et, bien entendu, je peste de passer si près et de ne pas le visiter. Je rêve, je rêve, quand tout à coup le chamelier me remet la longe de la noble monture et part discuter avec un de ses collègues ; il voit mon regard inquiet et me dit : "Mafeesh moshkela, pas de problème !" Bon, s'il le dit... Il faut dire que les dromadaires connaissent par coeur ce chemin qu'ils font plusieurs fois par jour. Et tout à coup, on nous fait une surprise de taille : tout ce petit monde se met à courir ! Je vous assure que quand le dromadaire court, ça n'est pas triste, il faut s'accrocher.
Mais le meilleur est encore pour la fin. Mes parents sont loin devant, ils ont déjà mis pied à terre ; et bien sûr mon beau-père attend avec impatience mon arrivée, camescope en main. Il faut en effet descendre une grande pente et on se demande ce que ça va donner sur le dos d'un vaisseau du désert. Le chamelier explique qu'il faut se pencher en arrière pour ne pas tomber, et là je comprends pourquoi mon beau-père attend en riant avec le camescope ! C'est assez impressionnant à vrai dire, je me cramponne en essayant de ne pas avoir l'air trop crispé.
Une fois arrivé, et passé l'épreuve du "on se penche en avant, on se penche en arrière" quand monsieur dromadaire s'assied, je remercie chaleureusement le chamelier en lui remettant discrètement un peu plus que le bakshish d'usage, car il m'a fait vivre un grand moment. D'ailleurs, ce qui est un peu gênant dans l'affaire, c'est que ces hommes font eux aussi le parcours plusieurs fois par jour, mais à pied ; je sais que cela leur permet de gagner leur vie, mais ça me gêne un peu quand même... Je caresse timidement ma monture, qui semble soulagée que ce soit fini. Et c'est un peu triste que je regagne notre embarcation, car notre bateau doit appareiller aussitôt pour le départ de la croisière et qu'il va falloir dire au revoirà Aswan...
En tout cas, j'espère avoir un jour l'occasion de faire une vraie randonnée en dromadaire dans le désert. La mode est aux véhicules motorisés, mais mon côté orientalisant préfère la noblesse lente du dromadaire... Et j'espère aussi revenir à Aswan pour une nouvelle rencontre et visiter ce que je n'ai pu voir.