Kom Ombo... Je ne sais pas pourquoi, c'est un des noms qui m'ont fait rêver depuis toujours. Le temple du grand Sobek - j'en oublie presque qu'il le partage avec Haroeris - , les crocodiles sacrés, sans doute, mais au-delà une Egypte où se mêlent les civilisations... Vous vous souvenez, je vous ai déjà raconté ma seconde rencontre avec ce site en 2006.
La visite de nuit au temple de Kom Ombo fut un grand moment de notre séjour de 2004, et pas seulement pour la beauté des lieux et leur intérêt artistique et historique. Elle fut aussi l'occasion d'une aventure cocasse que je m'en vais bien entendu vous raconter.
Lorsque notre bateau se présenta au quai de Kom Ombo, comme nous avions pris du retard - vous croyez déjà avoir identifié ceux qui ont causé le retard, j'en suis sûr... et vous n'avez pas tout à fait tort ! - , plus de place pour notre fière embarcation : problème ! Problème ? Non : comme disent les Egyptiens "mafeesh moshkela", "pas de problème", il y a toujours une solution. Hani, notre accompagnateur, nous annonce bientôt la stratégie adoptée : nous débarquerons à l'écart du quai et pendant notre visite le bateau cherchera un endroit où accoster, tout au bout du quai. Nous débarquons donc de façon "sauvage", la passerelle prenant pied directement sur les rives du Nil, en contrebas des champs qui voisinent avec le temple. Pour nous éclairer, car il fait nuit noire (au passage, la nuit tombe tôt et rapidement dans cette région du monde), Hani a rassemblé toutes les lampes de poche qu'il peut et le personnel du navire a même démonté des néons pour éclairer la berge ; j'adore la débrouillardise égyptienne et cette aventure impromptue dans un voyage bien lisse, vous vous en doutez ! Vous vous doutez aussi que ce n'est pas du goût de tout le monde, et certains préfèrent rester sur le bateau : confort occidental absolu ou rien... Bref ! Pour plaisanter, ma mère, qui a remarqué quelque chose qui bouge sur l'eau, dit qu'il y a même des crocodiles : normal puisque nous allons au temple de Sobek ! Certains n'y résisteront pas et font déjà demi tour : ce ne sont en fait que des plantes flottant à la surface de l'eau, chacun sait qu'il n'y a plus de crocodiles dans le Nil...
Il faut escalader une berge relativement escarpée, les Egyptiens aident les dames à monter, c'est assez drôle et ceux qui se lancent dans l'aventure sont ravis. Par un étroit chemin de terre, nous longeons les champs endormis, ces champs qui n'ont guère changé depuis l'époque des pharaons : les parcelles sont divisées en carrés de culture bordés de petits canaux d'irrigation par gravitation, selon un usage antique qui s'est longtemps conservé aussi chez nous en Provence. Vous pensez bien que je jubile, je goûte chaque instant, j'engrange les sensations. Sur les berges, en contrebas, nous apercevons des Egyptiens qui prennent leur repas sur leur felouque, regroupés autour d'un petit brasier ; que ces gens sont beaux, il y a un parfum d'éternité tout à coup, une intrusion dans ce que les touristes ne voient habituellement pas ; ils nous saluent chaleureusement et semblent aussi amusés que nous de notre équipée. Un paysan, sans doute interpelé par le bruit que nous faisons, apparaît tout à coup au détour du chemin avec son petit âne, et demande un bakshish que nous lui donnons bien volontiers.
Notre première vision du temple ne se fait donc pas des quais sur lesquels accostent habituellement les bateaux, mais depuis ces champs plongés dans l'obscurité... J'avoue que c'est un très beau spectacle que ces ruines illuminées surgissant de la campagne, une image inoubliable.
Kom Ombo fait partie de ces temples tardifs où hellénisme et romanité se mêlent à l'éternel égyptien. Une partie de l'enceinte est conservée, préservant pour un instant la rencontre magique. Ses colonnes et chapiteaux sont une fois de plus un régal de diversité et de finesse. Dans une petite pièce sont conservés dans des vitrines des crocodiles momifiés, débandellettés, les pauvres ; comme la foule s'y presse, je charge mon père de filmer, et j'en profite pour examiner les détails de quelques reliefs. Ce qui fait l'originalité de Kom Ombo, entre autres, ce sont les vestiges des magasins, l'extraordinaire fraîcheur des peintures des portions de plafond conservées et surtout le vaste nilomètre circulaire aux parois duquel s'accroche un escalier. Bien entendu, à ne pas manquer certains reliefs exceptionnels, comme ceux présentant des comptes ou des calculs astronomiques, et bien entendu le très célèbre relief présentant une série d'instruments médicaux. Là encore, il faut prendre le temps d'observer.
A la sortie, en contrebas du temple, on traverse le soukh, où dominent les produits textiles. L'équipe qui nous accompagne nous indique où se trouve le bateau et nous demande de ne pas traîner et de le rejoindre sans tarder, car le repas va être servi. Notre pauvre guide, Amr, ne sait plus où donner de la tête pour rassembler tout le troupeau. Nous avons pitié de lui et décidons d'être obéissants et sages, pour une fois ; pas de soukh pour ma mère et moi : tant pis, la vengeance se fera à Louqsor ! Nous devons passer plusieurs barrages de police, et entre deux pas âme qui vive ; étrange sensation de se trouver dans cette sorte de no man's land... Délire, bien sûr, avec Gaby et Christian, ce couple avec lequel nous avons sympathisé, tandis que dans la pénombre nous entendons les murmures des éternels râleurs... Nous embarquons à nouveau sur le bateau de croisière, le voyage va reprendre son cours normal. Mais "l'expédition Kom Ombo" restera un grand moment de notre séjour !