
Cap pour ce week-end dans nos Horizons musicaux sur les instruments traditionnels égyptiens. Les instruments utilisés dans la musique égyptienne aujourd'hui encore sont souvent d'origine très ancienne ; certains même remontent à la période antique. Malgré l'apport d'instruments occidentaux, ils restent très présents dans la musique actuelle, jeel ou sha3abi, aussi bien que dans la musique traditionnelle ou classique. Aussi avez-vous déjà pu entendre certains d'entre eux dans les Musiques des Horizons. Nous disposons sur la musique égyptienne du début du XIXe s. d'un précieux document avec l'ouvrage d'Edward Lane, qui traite en deux volumes d'une variété d'aspects de la vie en Egypte à cette époque. C'est à travers ses gravures, de façon succinte, que nous commencerons à aborder la question. Certains de ces instruments mériteront des informations plus détaillées par la suite. Pourquoi les " instruments de musique égyptiens " ? Il est vrai qu'on retrouve la plupart d'entre eux dans tout le Mashreq, au Maghreb, dans le monde persan et turc, et même parfois bien au-delà. Comme nous aurons l'occasion de le voir plus tard, il existe des variantes locales d'un pays à l'autre, non seulement dans le nom mais aussi dans la forme ou la sonorité des instruments ; et quelques instruments sont propres à la culture égyptienne. Je ne conserverai pas l'ordre adopté par Lane, mais classerai les instruments par catégories. Nous commencerons aujourd'hui par les instruments à cordes.

Edward Lane nous dit qu'à l'époque où il est allé en Egypte, un ensemble pour un concert privé était composé d'un joueur de kemângeh, d'un joueur de qânoon, d'un joueur de 3ood et d'un joueur de nây ; à partir des gravures de son livre et des explications qu'il donne, ce montage montre comment ils étaient disposés. Ce sont là les quatre instruments de base, auxquels pouvaient s'en adjoindre d'autres, comme des percussions. Très souvent, il y avait également deux chanteurs. De tels ensembles se produisaient devant les hommes dans les demeures aisées, dans la cour ou dans cet ensemble de réception des hommes qu'on appelle salâmlik ; les femmes pouvaient parfois y assister depuis l'étage, dissimulées derrière des mashrabeyyât. Les femmes elles-mêmes pouvaient faire venir des musiciennes professionnelles dans les harem.
Autres lieux privilégiés de la musique : les cérémonies et processions des sûfi, chez lesquels la musique a un rôle particulier, les grandes processions religieuses comme celle du départ du Hagg, et enfin les processions de mariage ou de circoncision.
Instruments à cordes :
La kemângeh est une sorte de viole qui se joue avec un archet. Celle représentée sur la gravure a une longueur totale de 97 cm et l'archet 90 cm. Elle n'a que deux cordes, qui étaient faites à l'époque chacune d'une soixantaine de crins de cheval, ainsi que celle de l'archet, et de boyau d'agneau. Comme on le voit sur la seconde gravure, la kemângeh est tenue verticalement, posée sur son pied métallique ; le musicien fait varier l'inclinaison en fonction des sonorités voulues.

Le qânoon est une sorte de cithare sur table présentant 23 groupes de trois cordes, soit 72 cordes au total ; à l'époque, elles étaient en boyau d'agneau. L'exemple de la gravure de Lane mesure 1m dans sa partie la plus longue, 40 cm de large et 5 cm d'épaisseur. On joue de cet instrument en plaçant un plectre ( reesheh, n°3 de la gravure ) de corne de buffle sous chacun des index par l'intermédiaire d'une bague ( kishtiwân, n°2 de la gravure ). Le musicien pose l'instrument sur ses genoux et le petit côté qui fait face au public est orné d'incrustations de nacre. C'est un instrument complexe qui requiert une grande maîtrise.
Le 3ood est le luth oriental, dont les cordes de boyau d'agneau sont assemblées en sept groupes de deux et pincées à l'aide d'un plectre à l'époque en plume de vautour. Il y a différents formats de 3ood. Exigeant là encore une grande maîtrise, il appartient lui aussi plutôt à la musique "savante".

Le rabâb est une sorte de viole populaire à archet. Lane en mentionne deux types : le rabâb el-moghonny ( " rabâb du chanteur " ), doté de deux cordes, et le rabâb esh-shâ3er ( " rabâb du poète " ), à une seule corde. La gravure représente ce dernier, d'une longueur de 82 cm. Comme pour la kemângeh, les cordes sont en crin de cheval. Le rabâb était souvent utilisé par les chanteurs de rue et les chanteurs pauvres ; le chanteur jouait lui-même du rabâb et était en général accompagné d'un second joueur de rabâb.
Lane mentionne encore, mais sans en fournir de gravure, le tambûr, une sorte de luth à long manche dont il précise qu'il est surtout joué par les étrangers ( en particulier les Grecs ), et le sunteer, un instrument proche du qânoon mais avec deux côtés obliques de même inclinaison au lieu d'un seul et des cordes métalliques au lieu des cordes de boyau ; et les cordes du sunteer sont frappées avec des baguettes et non pincées avec des plectres.
Dans le prochain article, nous verrons les instruments à vent et les percussions.