Charles X, roi de 1824 à 1830, continue de soutenir activement les recherches françaises en égyptologie. A la fin des années 1820, il fait réaménager une partie du Louvre pour recevoir les collections antiques et égyptiennes.
Poursuivant les aménagements de l'aile du Louvre longeant la rue de Rivoli sous la Restauration, le roi Charles X a fait décorer des salles qui ont récemment été réhabilitées et réaffectées à leur vocation première. Parmi celles-ci se trouvent deux salles ornées de superbes décors plafonnants ayant trait à l'Egypte, puisqu'elles avaient été conçues pour abriter les collections rassemblées entre autres par Champollion : la 6e salle, qui abrite aujourd'hui les collections égyptiennes de la période allant des Nectanébo aux Ptolémées ; et la 7e salle, celles de la 3e Période Intermédiaire à la domination perse. Toutes deux se trouvent au 1er étage de l'aile Sully. Les collections égyptiennes furent réorganisées en 1826-1827, époque à laquelle ces décors ont été réalisés. C'est Fontaine, architecte fétiche du néo-classicisme et de la référence archéologique au début du XIXe s., qui fut chargé de diriger le projet. Le musée Charles X fut solennellement inauguré en 1827.
François Picot, " L'Etude et le Génie dévoilent l'Egypte à la Grèce " : vue d'ensemble...
... et détails (de haut en bas et de gauche à droite) : l'Egypte ; le Nil appuyé sur son crocodile ; pyramides et obélisque ; l'Etude, la Grèce et le Génie ; détail d'un angle de la frise ; détail des objets égyptiens.
Le plafond de la 6e salle s'orne en son centre d'une grande peinture, " L'Etude et le Génie dévoilent l'Egypte à la Grèce ", réalisée par François Picot. Elle fait allusion à la période ptolémaïque, mais aussi à l'idée que la civilisation européenne antique doit une partie de son génie à la rencontre entre tradition grecque et tradition égyptienne, tout cela suivant l'imagerie du XIXe s. qui correspond à la naissance de l'archéologie.
L'ensemble du motif de la base du plafond, avec l'uraeus encadré par les Sekhmet avec les guirlandes...
La mise en scène est très conventionnelle, caractéristique du néo-classicisme de la peinture d'histoire de cette période. La Grèce, juchée sur un nuage et surmontée d'un arc-en-ciel, est figurée par une femme vêtue d'une tunique blanche et d'un manteau rouge, symbole de pouvoir que confirment le sceptre et le diadème ; figure hiératique faisant penser à Hera. Elle est accompagnée par l'Etude, coiffée de lauriers, qui soulève avec l'aide de putti le voile qui dissimulait l'Egypte, et le Génie, qui tient la torche du savoir. Aux pieds de la Grèce, un putto tenant un manuscrit et une lampe à huile, ainsi que la chouette, symbole d'Athéna, déesse de la sagesse et du savoir. Le thème du voile soulevé, outre la symbolique propre au thème de la composition, fait aussi sans doute référence à la vogue du thème du voile d'Isis.
L'Egypte est assise sur un trône dans l'angle inférieur gauche, les pieds sur un repose-pieds, tous deux inspirés de l'antique. Elle porte la couronne vautour des souveraines égyptiennes, une robe rehaussée d'ailes qui laisse sa poitrine découverte et tient dans une main le papyrus et le lotus, symboles du Double Pays. Derrière elle est allongée une divinité fluviale qui représente le Nil, selon l'iconographie gréco-romaine, appuyée sur un crocodile. Autour sont rassemblés des éléments destinés à évoquer l'Egypte : des lions allongés évoquant les sphinx flanquent le trône, près duquel on distingue également au premier plan un vase d'albâtre peint figuré avec réalisme, un sistre, une dague ; au second plan, les trois pyramides de Gizeh et un obélisque. Il existe une version préparatoire sur toile de cette composition, qui montre l'évolution du projet.
A la base du plafond court une frise peinte sur fond rouge ornée de motifs en trompe-l'oeil évoquant eux aussi l'Egypte ancienne, mais mêlés à des références gréco-romaines. Sur chaque côté de la pièce, un grand uraeus est flanqué de statues de la déesse lionne Sekhmet ; ces statues supportent des guirlandes végétales à la grecque, comme sont grecs les rinceaux d'acanthes qui ornent les angles. On distingue également des objets égyptiens, comme un vase canope à tête de Douamoutef ou des instruments de musique, ou encore des ibis sacrés.
Les Sekhmet supportant des guirlandes, avec un ibis sacré et quelques objets égyptiens...
Le plafond de la 7e salle s'orne quand à lui d'une autre composition, " L'Egypte sauvée par Joseph ", d'Abel de Pujol. Ici, l'allusion biblique rappelle que pour le monde occidental, l'Egypte ne fut longtemps connue qu'à travers les récits de la Bible. Dans l'esprit du XIXe s., cet épisode évoque donc naturellement la période ancienne de l'histoire égyptienne.
Abel de Pujol, " L'Egypte sauvée par Joseph " : vue d'ensemble du tableau plafonnant...
... et l'ensemble dans son contexte, avec son décor floral, ses uraei et ses figures divines.
Là encore, la scène est très rigide et caractéristique de la période. L'arrière-plan est fermé par une architecture égyptienne qui évoque le réalisme inspiré par les relevés de l'expédition d'Egypte. Sous le porche à quatre colonnes se tient Pharaon, assis sur son trône à côté duquel apparaît une tête d'Hathor identique à celles qui ornaient les barques sacrées. Un serviteur de Pharaon tient une enseigne du dieu ibis Thot.
Détails (de haut en bas et de gauche à droite) : Jsopeh soutenant l'Egypte ; Pharaon sous son porche ; la croix ankh, symbole de vie, aux pieds de Jospeh ; détail de la bordure du plafond ; détail du réalisme archéologique des architectures ; le peuple d'Egypte.
Au premier plan, sur la droite, Joseph est vêtu d'une tunique blanche et d'un manteau rouge et est coiffé du némès. Pour bien montrer qu'il n'est pas Egyptien, il est figuré avec la peau très blanche, contrastant avec le teint hâlé des Egyptiens. Il soutient l'Egypte, qui s'effondre dans ses bras sous les traits d'une femme vêtue de blanc, coiffée de la couronne vautour et dénudée jusqu'à la taille. Du sceptre ouas qu'il tient dans la main droite, il repousse les harpies qui assaillent l'Egypte. A ses pieds se trouve une croix ankh, symbole de vie, inspirée des nombreuses amulettes trouvées sur les sites égyptiens. A l'extrême gauche, un chien crachant du feu qui pourrait être Cerbère, le gardien des Enfers. A droite se trouve le peuple d'Egypte, avec des gestes et regards d'imploration.
Le tableau est entouré d'une large frise de motifs égyptisants formant un cadre : l'uraeus, le scarabée de Khepri, l'ibis de Thot, Anubis couché sur son catafalque, Horus. Le tout mêlés à des motifs grecs de rais de coeur et de rosettes.
Ici aussi le plafond est souligné par une large frise peinte sur fond rouge. Mais ce sont des figures nues en trompe-l'oeil qui tiennent les guirlandes de chaque côté de reliefs en grisaille à motifs grecs. Au-dessus de chacune des guirlandes se dresse un pilier djed. Les figures masculines, comme le montre le vase d'où s'échappe de l'eau, symbolisent le Nil. Dans les angles se déploient de grandes palmettes grecques.
Au centre , des figures nues coiffées d'une perruque égyptienne rehaussée d'une fleur de lotus ; à gauche et à droite le Nil avec son vase d'où l'eau jaillit ; au-dessus des guirlandes végétales, le pilier djed .
On le voit bien à travers ces deux décors plafonnants, on n'en est pas encore à cette époque à la reconstitution scrupuleuse : la référence reste le modèle gréco-romain et les éléments égyptisants sont encore, même si on y observe un souci de réalisme archéologique, anecdotiques. C'est un trait que l'on trouvait déjà dans le style " retour d'Egypte " qui a marqué les arts décoratifs au retour de l'expédition française.
Ce décor à l'égyptienne prend place dans un contexte néo-classique de type gréco-romain.
Ainsi, lorsque vous visitez les superbes collections égyptiennes du musée du Louvre, n'oubliez pas de prendre le temps d'observer aussi le décor des salles, en particulier celles-ci qui témoignent de la volonté d'adapter le décor aux collections auxquelles il devait servir de cadre.