Selon la tradition chrétienne d'Occident, c'est aujourd'hui Noël. Une fête dont nous avions évoqué les années précédentes l'importance culturelle et le contenu d'origine pré-chrétienne. Cette année, j'ai plutôt envie, en vous présentant mes voeux chaleureux pour cette fête familiale, d'aborder la question sous un tout autre angle. Vidé de sa substance symbolique et religieuse dans la plupart des foyers occidentaux, Noël se vide de plus en plus désespérément de toutes ces traditions qui en faisaient la magie. Pour n'être plus réduit, en fin de compte, qu'à une sorte de surimi indigeste de folklore misérablement commercial - les animations organisées par de nombreuses municipalités en sont un exemple pathétique. La frénésie matérielle atteint des sommets, et frénésie est presque un euphémisme : la joie et la convivialité laissent la place à un énervement général qui culmine dans ces temples de la surconsommation que sont les supermarchés et autres grands magasins. On râle, on se bouscule, on peste de devoir attendre ; on se demande aussi comment on va pouvoir faire face aux dépenses, et puis on se trouve pris dans le tourbillon général et on oublie un peu les comptes d'apothicaire... Je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais cette fête est chaque année plus morose. Et nous sommes nombreux à ne même plus avoir seulement l'envie de la célébrer tant elle a perdu son sens.
Et si justement ces temps de crises et de difficultés pouvaient pourtant être l'occasion de revenir à ce qui fait le véritable esprit de Noël ? Vous savez, ces évocations qui nous faisaient sourire dans les temps d'abondance, mais qui au fond donnaient vraisemblablement à cette fête une plus grande valeur ; cette époque où quelques agrumes, mandarines ou oranges, et quelques sucreries étaient de véritables trésors... Et toutes ces traditions propres à chaque région, méticuleuses dans la préparation de l'un des points culminants de l'année. Ici en Provence, planter le blé et les lentilles de la Ste Barbe, installer la crèche... Le plaisir simple de se retrouver en famille, toutes générations confondues et unies pour des réjouissances qui avaient un sens. Un Noël adapté aux moyens de chacun, le plus modeste n'ayant finalement rien à envier au plus fastueux du fait que l'important était justement d'être ensemble, d'y prendre plaisir, et de savourer ce que le moment avait d'exceptionnel. La générosité aussi, avec moins d'ostentation, et ce souci que l'on avait de ne laisser personne seul - qui, aujourd'hui, met encore sur la table de Noël le couvert supplémentaire qui en était dans de nombreuses régions le symbole le plus marquant ?
Je ne parlerai pas ici de l'aspect religieux, qui est une affaire de conscience personnelle. Bien que la disparition quasi totale de cet aspect des fêtes de Noël soit pour beaucoup dans le vide qui a été comblé par un matérialisme effréné. Et bien que j'ai beaucoup de mal, je l'avoue volontiers, à comprendre comment les athées les plus ardents peuvent être tout à la fois parmi les consommateurs les plus fervents de babioles de Noël... Le gros bonhomme rouge et blanc d'Outre-Atlantique a bel et bien dévoré les vieux symboles du solstice d'hiver, de la Mère venue du fond des âges, du renouveau à venir de la nature et du triomphe de la lumière : c'est ainsi, il faut s'y accoutumer, quand bien même du coup tout un pan de nos cultures s'effondre. On qualifie de " progrès " ce qui n'est au fond qu'un aléa de l'histoire...
Sans conteste sommes-nous aujourd'hui tellement blasés, enfants gâtés du monde prêts à adopter tous les caprices préfabriqués que l'on nous assène depuis le plus jeune âge. Tellement étouffés par le futile dont on veut en permanence nous convaincre qu'il est une nécessité. Mais les temps changent, et les difficultés économiques dont on parvenait jusque-là à dissimuler les effets se font chaque année plus présentes. Plutôt que d'en concevoir une frustration, nous devrions peut-être y voir en fin de compte une chance extraordinaire : celle de tourner le dos au superflu qui encombre nos vies et surtout nos coeurs, redonner à tout cela plus d'humanité. Bien entendu que pour bien des aspects le fil fragile de la tradition est irrémédiablement rompu, ou sur le point de se rompre avec la prochaine génération : une tradition que l'on ne comprend plus devient un folklore sans âme, et finit par s'éteindre. Mais tout n'est peut-être pas perdu pour autant : retrouver le chemin vers des plaisirs plus simples, vers cette joie née de l'espoir de renouveau dont Noël a hérité des cultes plus anciens, ce n'est après tout pas si compliqué...
Ah, Kaaper ! Eternel rêveur, éternel nostalgique et éternel râleur qui aime l'humain en lui adressant des reproches ! Sans doute à ranger dans son mastaba, parmi les momies - quoique attention, à Hollywood les momies sortent régulièrement de leur sarcophage ! Je sais...
Je vous souhaite quoi qu'il en soit à toutes et à tous, quel que soit votre Noël, une fête pleine de joie, d'amour familial et amical, et aussi d'espoir !