Aujourd'hui, je vous parlerai d'une oeuvre qui, comme beaucoup d'autres en France, se cache dans l'église St-Laurent d'Ollioules, parmi les rares vestiges des oeuvres religieuses antérieures à la Révolution ; comme le peu de mobilier ayant survécu à cette période dans cette église paroissiale, elle est inscrite à l'Inventaire Supplémentaire. Au premier abord, on pourrait y voir une oeuvre de second ordre, comme on en trouve des dizaines dans les lieux de culte. Pourtant, dès qu'on l'étudie en détail, on y décèle une qualité de composition, de coloris et de réalisation qui pourrait cacher, sous des repeints tardifs et l'encrassement, l'oeuvre d'un maître provençal.
Il s'agit d'une grande Assomption, thème dont nous avons déjà parlé dans les Horizons des Arts, qui très vite a attiré mon regard parmi les oeuvres de facture plus médiocre qui l'entourent. Jusqu'à présent, nous ne disposons que de peu d'éléments de datation et d'aucun élément d'attribution. Je souhaiterais partager avec vous mes réflexions sur cette oeuvre.
La composition est complexe, dénotant chez l'artiste une connaissance et une maîtrise des règles de la peinture. La toile se divise en deux registres, selon la représentation traditionnelle de l'Assomption : dans le registre inférieur, le tombeau vide entouré des Apôtres ; dans le registre supérieur, la Vierge sur un nuage, s'élevant vers le ciel entourée d'angelots. Au premier plan, en bas, trois personnages ; de gauche à droite : saint François, saint Pierre et sainte Claire. Les regards de ces trois personnages, levés vers le ciel, forment un triangle dont la pointe entraîne le regard du spectateur vers la Vierge. Le mouvement ascendant est renforcé par le geste des mains de Pierre. Dans un second plan occupant les 2/3 de la partie médiane, quatre apôtres entourent le tombeau vide ; celui de gauche tend le regard et les bras vers le ciel, reprenant le mouvement ascendant ; les trois autres examinent l'intérieur du tombeau vide. Les deux personnages des extrémités soulignent le triangle formé par les personnages du premier plan. Un troisième plan présente à gauche un paysage montagneux et à droite le groupe des sept autres Apôtres ; ils sont séparés en deux groupes par un arbre : à gauche, un groupe de trois, deux levant les yeux au ciel et le 3e, au centre, regardant de face le spectateur ; à droite, un groupe de quatre, les deux premiers levant les yeux vers le ciel et les deux autres regardant vers le tombeau.
Dans le registre supérieur, la Vierge agenouillée sur un nuage est légèrement décentrée. De chaque côté, deux angelots à gauche et trois angelots à droite. Les regards des angelots situés à la base du nuage forment un nouveau triangle qui converge vers le visage de la Vierge ; par contre, leurs gestes renvoient dans des directions opposées : l'angelot de gauche tend le bras vers le tombeau vide ; celui de droite lève les mains vers la Vierge. A l'arrière-plan, un angelot à gauche de la Vierge croise les bras en souriant ; à droite, celui du bas joint les mains en un geste de prière, tandis que celui du haut s'appuie mollement sur le nuage et esquisse un sourire. Dans les volutes du nuage apparaissent dans un second plan quatre visages d'angelots à gauche et trois à droite. Aux 12 Apôtres correspondent ainsi 12 angelots. La Vierge ouvre largement les bras en un geste qui forme une ligne oblique, tandis que son regard est tourné vers le ciel.
Considérons à présent les personnages et leur signification, et en premier lieu ceux qui relèvent de la représentation traditionnelle de l'Assomption. Saint Pierre est le personnage principal du registre inférieur. Placé juste à droite de la ligne médiane verticale du tableau, il se distingue également par le coloris vigoureux de son vêtement, un manteau rouge (qui rappelle son martyre) sur une tunique bleue. Il est aisément identifiable grâce à ses attributs traditionnels : la clef, placée sur le Livre à gauche, au pied du tombeau, et une grande crosse d'argent posée au sol à ses pieds, qui rappelle qu'il est le chef de l'Eglise et le premier évêque de Rome. Le tombeau est représenté sous le forme d'un sarcophage de pierre à l'antique orné de strigiles, un type connu par les nécropoles paléochrétiennes de Provence. Au-dessus de Pierre, au second plan, on reconnaît aisément saint Jean, sous les traits d'un jeune homme imberbe à la longue chevelure et à la grâce presque féminine, vêtu d'une tunique d'un rose violacé et d'un manteau sombre. Les autres Apôtres sont plus difficiles à identifer. Celui qui, à gauche du second plan, tend les bras vers le ciel pourrait être Thomas : selon une tradition, la Vierge lui aurait lancé du ciel sa ceinture pour qu'il croit à son Assomption.
Venons-en aux deux personnages qui flanquent la composition au premier plan du registre inférieur. A gauche, agenouillé, se tient saint François ; il porte l'habit brun des moines de l'ordre qu'il a fondé, et autour de la taille la corde servant de ceinture qui leur a valu le surnom de "Cordeliers", ainsi que les sandales que les moines portaient toute l'année en signe d'humilité ; ses mains sont percées des stigmates des clous de la Crucifixion. A droite, également agenouillée, sainte Claire, qui porte également la corde des franciscains, puisqu'elle fut la fondatrice de l'ordre féminin des Clarisses, les soeurs franciscaines. Elle tient des deux mains une précieuse monstrance d'argent, qu'on appelait à l'époque "soleil", car la partie destinée à contenir le saint sacrement était ornée de rayons évoquant le soleil.
Le style et les coloris sont également révélateurs. Avec la composition rigoureuse, géométrique, ils indiquent une oeuvre de qualité. Les coloris sont très assombris par la salissure du temps et le vieillissement des vernis. On devine cependant une palette vigoureuse caractéristique des maîtres provençaux des XVIIe et XVIIIe s. : des rouges flamboyants, des bleus éclatants, des roses, les dégradés rouge-orangé du ciel du paysage. Les détails anatomiques trahissent aussi une main experte, du moins dans les parties le moins affectées par des repeints. Le visage et les mains de saint Pierre sont d'une facture remarquable, de même que le vêtement et le visage de saint Jean. L'angelot situé en bas à droite de la Vierge est également de très belle facture. Le visage de la Vierge; tout en rondeur, est caractéristique de la peinture provençale. Et les détails des ornements dorés de son manteau, même encrassés, sont d'une grande finesse.
Quelles peuvent donc être la provenance et la datation de cette toile ? La présence de saint François et sainte Claire nous fournissent un indice. Elle indique en principe que cette toile est une commande franciscaine, vraisemblablement des Clarisses puisque sainte Claire est représentée. Un couvent de pères Observantins, ou Franciscains de stricte observance, est en effet présent à Ollioules dès au moins le milieu du XVIe s. , dans le faubourg du Septem. En 1634 s'installe dans ce même faubourg un couvent de soeurs Clarisses, à partir du couvent précédemment établi à Toulon. Une commande par les Clarisses d'Ollioules est donc tout à fait plausible, et même vraisemblable. Mais que fait cette toile dans l'église paroissiale ? Nous savons par les textes que le couvent des Clarisses d'Ollioules, éclaboussé par le scandale de l'affaire Girard-Cadière qui mit en cause en 1731 un Jésuite et la fille d'un notable toulonnais, fut fermé sur ordre du roi Louis XV au milieu du XVIIIe s. Récemment, les archives sont venues confirmer ce que nous supposions. En 1822, répondant à une demande du sous-préfet concernant les édifices et oeuvres d'art religieux de la commune, le maire répond : "On trouve [dans l'église paroissiale] à la chapelle de st Jean à la droite du maître hotel [sic] un superbe tableau représentant l'ascension de la Vierge de bon maître. La Vierge est un beau morceau de peinture et les apôtres offrent de belles têtes. Ce tableau appartenait à ste Claire. On voit au bas un saint François et une sainte Claire qui j'ose l'avouer porte atteinte à la beauté des expressions du reste du tableau." Il s'agit sans conteste de notre tableau ; comme nous l'avions pensé, il provient bien de l'ancien couvent des Clarisses d'Ollioules et a dû être placé dans l'église paroissiale après la fermeture de celui-ci. Un autre inventaire du mobilier de l'église, dressé le 9 fructidor an X, mentionne "un grand tableau avec son cadre doré représentant Ste Claire".
Si le tableau provient bien du couvent des Clarisses, cela signifie donc qu'il a vraisemblablement été réalisé entre 1634 et le milieu du XVIIIe s. Mais, comme le fait remarquer le maire en 1822, st François et ste Claire tranchent avec la qualité du reste du tableau et de la composition. S'agit-il d'une réutilisation au profit des Clarisses d'une toile d'une autre provenance ? Ou ces deux figures ont-elles simplement plus souffert que les autres des repeints tardifs ? Faute d'une étude avec des moyens appropriés, la question ne peut pour l'heure être tranchée. L'examen du style et les coloris semblent plutôt indiquer une oeuvre du XVIIe s., si on compare ce tableau avec d'autres toiles provençales. Pour l'heure, aucune date n'a été relevée sur la toile ; mais peut-être une date ou une signature se cachent-elles sous les repeints. A moins qu'elles ne soient dissimulées par le cadre, qui semble postérieur. Sous celui-ci apparaît en effet en bas à gauche, à côté de saint François, une signature : "Alexandre de France". Jusqu'à présent, nous n'avons trouvé que peu d'informations sur cet artiste, que nous avons trouvé mentionné au sujet de la reprise d'une oeuvre de Pierre Puget. S'agit-il d'une signature apposée lors d'un repeint (pratique fréquente) ? Ou cet Alexandre de France est-il l'auteur de la toile ? Impossible pour le moment de trancher... Affaire à suivre. Un sujet d'étude intéressant pour un(e) étudiant(e) en histoire de l'art...