Silence
Le silence, sournoise sarabande qui tue les heures
Quand elles pourraient être douces ; silence moqueur
Qui enfle de questions les murs vides d'ennui,
Tourbillonne sans fin dans les cerveaux brouillés,
Las et corrompus de ne plus écouter,
Et ronge de doutes affreux la pâleur de la nuit ;
Ce silence sur tes lèvres fait trembler, monstre inquiet,
Toutes les certitudes que j'ai blotties en toi ;
Il arrache à mon cœur des reproches muets
Et glisse son orgueil dans mon cruel émoi.
Il assassine, dans l'instant qui hurle d'impatience,
Les espoirs aux sourires trompeurs, et l'absence
Tisse autour de mon âme des chimères plus cruelles
Que les rythmes odieux des passions criminelles.
Ne ferme pas tes yeux sur l'aujourd'hui limpide,
Mais donne-moi tes mots pour affronter le vide,
Le soupçon se nourrit de ce qu‘on ne dit pas...
J'ai écrit ce poème il y a très longtemps, presque dans une autre vie - plus de dix ans, autant dire presque une éternité ; à l'époque d'un grand amour qui se terminait mal et, comme souvent, dans ces silences terribles qui annoncent la fin... prenant la place d'autres silences plus "innocents", silences timides, complices ou rieurs. En le relisant aujourd'hui, dans cette vie d'aujourd'hui, je me suis rendu compte qu'il avait pris une toute autre portée. Il n'est plus seulement un instantané d'une histoire spécifique ; il a pris la dimension plus générale d'incarner tous les silences qui disent ce que l'on cherche à taire par peur d'affronter la réalité de l'échec.
J'ai toujours pensé qu'une fois achevés, nos écrits nous échappaient, qu'ils prenaient une vie propre ; avec cette contradiction apparente qu'ils demeurent comme un appendice de nous-même, appendice dont on ignore, au final, s'il est encore véritablement rattaché à nous ou pas. Ce poème en est tout compte fait une illustration. Même si, bien entendu, je n'ai pas oublié et n'oublierai jamais le silence qui l'a vu naître, force m'est de constater qu'il l'a très largement dépassé. Il est devenu, au fil du temps, le poème des silences rencontrés, vécus ou observés depuis. Les silences de l'autre aussi bien que les miens. Les silences confiés par des proches, des amis, ou froidement observés chez des inconnus. Non plus seulement les silences amoureux, mais aussi les silences d'amitié. L'idée est ainsi qu'il fera peut-être écho à des silences chez le lecteur, puisqu'il n'a plus ce caractère anecdotique lié à ma petite existence. C'est l'alchimie de l'union entre les mots et le temps... Non ?
D'où l'audace de le partager aujourd'hui. Audace dans laquelle l'impudeur a moins de place, faute de quoi ce partage eut été impossible. Puisse-t-il vous parler, incarner le temps d'une lecture vos propres expériences de ces silences, prendre dans votre âme ou votre coeur une dimension qui vous sera propre... Vous offrir un instant de plaisir ou de mélancolie. Mais, dans tous les cas, à vous de vous l'approprier...