Il y a 20 ans, l'information qui nous arrivait paraissait incroyable : die Mauer1, le Mur de Berlin, venait de tomber ! Je m'en souviens comme si c'était hier... Je n'en croyais pas mes yeux emplis de larmes en voyant ces images à la télévision. Pour moi qui étais étudiant germaniste, qui comptais de nombreux amis en Allemagne et avais avec elle des liens si intimes2, ce furent des heures enthousiastes, emplies d'émotion. Et aujourd'hui, 20 ans plus tard, revivant cette émotion en me souvenant des témoignages de personnes bien réelles sur ce qu'étaient le Mur et la RDA, je me réjouis de ce triomphe de la liberté sans effusion de sang. Pour cette Allemagne qui est chère à mon coeur, mais aussi pour l'Europe.
Le 9 novembre... Une date qui n'est décidément pas anodine dans l'histoire de l'Allemagne. Si c'est dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989 que le Mur de Berlin est tombé, d'autres événements ont eu lieu un 9 novembre dans le pays au XXe s. : c'est le 9 novembre 1918 qu'est proclamée à Berlin la République de Weimar ; hélas, c'est aussi le 9 novembre 1923 que les nazis tentent à Munich ce qui sera appelée le « putsch de la Brasserie », et dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 qu'eut lieu l'épouvantable « Nuit de Cristal ». C'est d'ailleurs pourquoi cette date du 9 novembre, malgré le symbole de la chute du Mur, n'a pas été choisie comme jour de fête nationale par l'Allemagne réunifiée3. |
Nous ignorions encore bien entendu que ce n'était qu'un début, que bientôt cette partie de l'Europe privée de liberté allait mettre à bas ce qui fut l'une des grandes injustices de l'après-guerre. Je ne sais pas si ceux qui n'étaient pas encore nés alors, ou qui étaient trop jeunes, peuvent s'imaginer ce qu'un tel événement signifiait. Ni le climat qui était celui de cette période : la révolte grondait dans cette moitié de l'Europe ployant sous le joug soviétique, depuis le soulèvement de la Pologne. A l'heure où la France venait de célébrer le bicentenaire de sa Révolution, une autre révolution était en marche à l'Est. Car la portée de l'événement, c'est bien entendu le premier pas vers la réunification allemande, cette « Wiedervereinigung » à laquelle je ne me serais jamais attendu à assister de mon vivant ; mais au-delà, les prémices de la chute de cet empire soviétique synonyme d'oppression.
Je crois en effet qu'il s'agit enfin d'être francs et de regarder l'histoire en face. A l'heure où le politiquement correct veut que l'on couvre encore les dictatures communistes d'un voile pudique ou que l'on fasse des compromis avec les dernières d'entre elles, à l'heure où certains se laissent ici ou là tenter par ce qu'on appelle en Allemagne l' « Ostalgie » 4, il n'est pas inutile de dénoncer toujours combien ces régimes satellites étaient odieux. La RDA comptait parmi les plus durs et le Mur, tout comme le « rideau de fer », ce sont aussi des victimes souvent anonymes, dont le nombre ne sera sans doute jamais connu ; ce sont des familles brutalement séparées pour longtemps, quelquefois pour toujours ; une ville, qui avait été au début du XXe s. l'une des plus brillantes capitales européennes en matière de culture et de modernité, avant de se trouver anéantie par la folie criminelle du nazisme et ravagée par la guerre, séparée en deux par une folie nouvelle.
* plus jamais de murs
Certes, certains espoirs ont pu être déçus pour ceux qui attendaient tant de tels événements. Il faudra bien plus de deux décennies pour panser les blessures. Comme toujours avec les événements historiques, il faut s'efforcer de profiter du recul pour élargir la réflexion et si cela est possible – mais hélas cela l'est rarement – d'en tirer des leçons d'avenir. Il reste encore bien des « Murs de la Honte » à abattre : des murs bien matériels, comme celui que des extrémistes5 ont érigé entre Israel et la Palestine, au mépris du droit international et du respect des peuples, tout comme à Berlin en 1961 ; et d'autres, plus sournois, dressés dans les esprits au nom de quelque idéologie ou du refus des différences. Mon espoir aujourd'hui, c'est de voir ces murs-là tomber un jour eux aussi...
Je ne souhaitais pas faire un article historique ; dans le contexte des célébrations en cours, vous trouverez suffisamment de renseignements dans la presse ou sur le net. Mon propos était simplement d'exprimer mon sentiment au souvenir de cet événement qui m'a marqué. C'est pourquoi, du reste, il se trouve publié dans les Chroniques... Enfin, pourquoi le publier le 10 novembre et non le 9 ? Tout simplement parce que beaucoup d'Allemands n'ont franchi le Mur que le 10 novembre, et aussi symboliquement parce que moi-même je n'ai pas assisté à l'événement sur place.
Notes :
1- " Mur " en allemand ; les Allemands appelaient ce mur " die Berliner Mauer " ( le Mur de Berlin ), " die Mauer der Schande " ( le Mur de la Honte ), mais le plus souvent dans le langage courant " die Mauer " ( le Mur ).
2- Mon Allemagne, soyons clair, c'est celle de la langue, de la littérature et des arts, de l'amitié et des premières amours...
3- Depuis la réunification, la fête nationale allemande a été fixée au 3 octobre, date anniversaire justement de la réunification en 1990.
4- Mot allemand difficilement traduisible formé sur "Ost- " (Est) et le mot d'origine française " Nostalgie " ; il recouvre différentes tendances, depuis la simple mode (souvent chez des jeunes n'ayant pas connu la RDA) des symboles de l'ancien régime de l'Est, jusqu'à la véritable nostalgie politique de certains adultes. Le mot est allemand et y a une consonnance particulière, mais la tendance se retrouve en fait dans toute l'Europe.
5- Je précise pour ne pas qu'on se méprenne sur mon opinion à ce sujet, car tous les Israeliens, loin s'en faut, ne sont pas favorables à ce mur dont la construction a été décidée sous l'impulsion de la droite radicale ; il a été condamné en vain par la communauté internationale comme violant tous les accords et droits internationaux. Mais c'est un sujet que nous aurons l'occasion d'évoquer de façon plus détaillée dans la série d'articles sur l'histoire d'Israel et de la Palestine.