Je vais aujourd'hui vous parler d'un jardin qui est cher au coeur des Toulonnais, même s'il a hélas subi les outrages du temps : le jardin Alexandre Ier, que nous autres Toulonnais avons toujours appelé « Jardin de la Ville ». Tous les Toulonnais le connaissent et, dès qu'on s'intéresse à son histoire, on y retrouve de grands moments de l'histoire de la ville elle-même. Comme depuis sa création, on y vient pour prendre un moment de repos à l'ombre des arbres, oublier le fracas de la ville moderne. Et il recèle quelques surprises qu'il faut prendre le temps de venir admirer.
Les lointaines origines de ce parc public remontent au XVIIe s. Dans ce secteur se trouvaient deux jardins historiques : le Jardin du Roy, dans la partie haute, et au nord-ouest la célèbre « cassine » du chevalier Paul, où celui-ci reçut Louis XIV et la cour en 1660 ; pour étonner ses hôtes, on raconte que le chevalier avait fait placer dans les orangers des oranges confites qu'il invita les dames de la suite royale à cueillir, provoquant admiration et étonnement. Nous aurons l'occasion de reparler du Jardin du Roy et du chevalier Paul.
La perspective sur la chapelle de l'Hôtel-Dieu construit à l'emplacement de l'hospice de Mgr de Chalucet, et que les Toulonnais ont toujours appellé hôpital Chalucet en souvenir du généreux évêque. C'est d'ailleurs son nom aujourd'hui.
A la fin du XVIIe s., Mgr Armand Bonin de Chalucet, évêque de Toulon, décide de créer dans ce secteur un hospice de la Charité. Il commence par louer en 1681 une vaste propriété appartenant à Pierre Meissonnier, composée de jardins, cultures de légumes et prés. Puis en 1694, il rachète aux Récollets l'ancienne cassine du chevalier Paul, et se lance dans la construction de l'hôpital qui existe toujours et porte son nom ; il sera achevé en 1717, et je vous le présenterai également à l'occasion.
Ce cyprès chauve du Canada, aujourd'hui situé dans la cour d'entrée de l'hôpital du XIXe s., est à la fois le dernier vestige du jardin botanique de la Marine et le plus vieil arbre de Toulon. Sa bouture a été ramenée d'Amérique en 1797 et il a été planté à cet endroit par Gaspard Nicolas Robert (1776-1857), pharmacien et directeur de l'école de la Marine. Lors du déplacement du jardin botanique, il fut sauvé par un ingénieur de la Marine. Il a la particularité de perdre ses feuilles en hiver ; le voici avec son feuillage :
Sous Louis XVI, vers 1786, la Marine loue une partie des jardins inoccupés pour créer un jardin botanique. C'est là l'origine directe du jardin actuel. Dès lors, les officiers de Marine ramènent de leurs voyages lointains des plantes exotiques et le parc botanique acquiert peu à peu un certain renom, car on parvient à y acclimater des essences extrêmement rares. Des boutures sont envoyées dans toute l'Europe et des scientifiques parisiens du Museum viennent sy'approvisionner en plantes exotiques.
L'allée de platanes du Second Empire, qui s'aligne sur les quartiers neufs créés à l'époque de Napoléon III.
Survient en 1852 l'agrandissement de Toulon, décidé avec l'accord de Napoléon III. On décide alors de transférer le jardin botanique de la Marine sur la presqu'île de St-Mandrier, malgré les protestations de l'Académie des Sciences ; les arbres sont transplantés, mais la plupart n'y survivront pas. Le projet consiste à aménager un vaste jardin public, avec des allées bordées de platanes, des rocailles et des fontaines. Un budget de 53 000 francs est alloué en 1853 et le jardin est achevé dès 1860. Le jardin est agrandi à deux reprises, en 1863 et 1882, et s'orne de bassins, de fontaines et de statues. On y conserve le bassin des nénuphars, qui existait déjà du temps du Jardin du Roy. Il devient alors le plus grand jardin public de la ville, à deux pas du centre, élément emblématique du côté ouest des aménagements du XIXe s. Le jardin subit de graves dommages lors des bombardements de 1943. Enfin, des restaurations sont entreprises en 1989, avec la réimplantation d'espèces exotiques, la construction d'une copie de l'ancien kiosque à musique de la place d'Armes et la repose des grilles de la fin du XIXe s., frappées aux armes de la ville, qui avaient été supprimées dans les années 1960.
Ce superbe portail de style Louis XIII provençal provient de l'ancienne chapelle Notre-Dame de Cortina du vieux village de Six-Fours, rasé en 1875 pour faire place à un fort militaire. Il a été réalisé par l'architecte toulonnais Julien Rollet en 1624. En décembre 1875, la ville de Toulon acheta ce portail pour la somme de 200 francs, le fit démonter pierre par pierre et remonter dans le jardin de la Ville en 1876. Il se dresse à l'extrémité ouest du jardin, au bout de la grande allée.
La fontaine du Buveur fut placée en 1891 dans une rocaille aménagée derrière la baie du portail de Notre-Dame de Courtine. Réalisée par le sculpteur toulonnais Benoît Lucien Hercule, cette oeuvre de bronze avait été présentée au Salon de 1881 et offerte par les Beaux-Arts à la ville la même année. Elle représente un jeune homme nu étendu s'abreuvant à une source jaillissant des rochers. Durant la seconde guerre mondiale, l'original fut envoyé à la fonte par les occupants. Mais un moulage de plâtre avait été conservé, qui a permis de couler une réplique lors des restaurations de 1989 et de lui faire retrouver sa place d'origine...
Le kiosque placé lors des travaux de 1989 est une réplique de celui qui ornait autrefois la place d'Armes et dont les Toulonnais regrettaient la disparition depuis les travaux d'aménagement du parking souterrain. Des concerts y ont à nouveau lieu, dans l'esprit d'origine du parc du XIXe s.
Parmi les quelques sculptures ornant le jardin, on trouve celle-ci représentant le poète François Fabié, près de l'entrée est.