Parmi mes passions numismatiques, celle des monnaies islamiques médiévales, principalement d'Egypte, bien sûr. Ce qui m'a amené à faire quelques recherches. Voici donc, comme nous l'avions vu pour les monnaies romaines, un aperçu rapide du monnayage arabe ancien, ou plutôt arabo-turc puisque les Turcs arrivent dans la région au Moyen Age et adoptent dans un premier temps le monnayage arabe. Il ne sera pas question ici des monnaies islamiques de l'Inde ou d'Asie.

On trouve essentiellement dans le monde musulman ancien trois types de monnaies :
- une monnaie d'or, le dinar (arabe دينار ), dont le nom vient du denier d'argent romain (denarius) et qui est encore la monnaie de nombreux pays musulmans. Mais elle est plus rare que les suivantes.
- une monnaie d'argent, le dirham (arabe دِرْهَم ), dont le nom vient de la drachme gréco-romaine. Il est encore aujourd'hui la monnaie de certains pays musulmans, comme le Maroc ou les Emirats.
- une monnaie de cuivre, le fals (arabe فَلس ), qui signifie aujourd'hui en arabe "pièce de monnaie et dont le pluriel "fulûs" (arabe فُلوس ) désigne encore l'argent en arabe dialectal égyptien de nos jours.
Les Origines :

Dirham arabo-sassanide (VIIe s.).
Les toutes premières monnaies islamiques reprennent les modèles sassanides et byzantins. Pour les monnaies d'argent, on imite d'abord le modèle des drachmes sassanides et les premières monnaies arabo-sassanides apparaissent dès 652 : ce sont des dirham d'argent avec à l'avers le portrait du souverain et à l'avers des représentations variables ; ce qui les distingue des monnaies sassanides est l'emploi de caractères arabo-persans dans les inscriptions qui figurent à côté du portrait du souverain et sur le pourtour. On imite également les dinars d'or sassanides.

Fals arabo-byzantin, frappé à Emèse (VIIe s.) : l'iconographie reste chrétienne comme sur les monnaies des empereurs byzantins (remarquer la croix sur la tête et souverain et le globe surmonté d'une croix), seules les inscriptions en arabe permettent d'identifier la monnaie comme arabo-byzantine.
Dans le même temps émerge le fals, qui reprend pour sa part les modèles du nummus de cuivre des empereurs byzantins du VIIe s. On les qualifie donc de monnaies arabo-byzantines. Très souvent, l'iconographie reste chrétienne et le fals se différencie par la présence d'inscriptions en caractères arabes, ce qui produit des monnaies étranges qu'on pourrait prendre au premier abord pour byzantines.
Les Omeyyades (661 - 750) :
Les Omeyyades opèrent en 696-698 une réforme importante du monnayage arabe.

Dirham omeyyade d'Umar, frappé à Damas (719).
Le dirham d'argent voit disparaître toute représentation et ne porte plus que des inscriptions calligraphiques ; disparaît aussi le nom du calife. La monnaie porte alors des inscriptions d'inspiration religieuse, souvent un élément de datation et le nom de l'atelier de frappe. Ce modèle de dirham mis en place par les Omeyyades restera la référence de la monnaie arabe durant des siècles, les dynasties suivantes n'apportant que des variantes.

Fals omeyyade, frappé à Damas (700).
Quant aux fals de cuivre, leurs formes encore très variées.

Demi-dirham arabo-sassanide du Tabaristan, qui montre comment on évolue vers une disparition de la représentation hmaine : ici le visage du souverain est remplacé par un losange (VIIIe s.).
C'est à la fin du VIIe s. qu'apparaît le dinar d'or, de forme circulaire, avec d'un côté une inscription calligrahique religieuse et de l'autre le nom et les titres du prince qui le faisait frapper ; on n'y trouve en général pas de marque d'atelier ni de date. Son poids restera fixé autour de 4,50 g. Il restera tout au long de son histoire semblable au dirham, dont il suivra les évolutions.
Les Abbassides (750 - 1258) :

Dirham abbasside d'al-Mansûr, frappé à al-Kufa (761).
La grande caractéristique des monnaies abbassides est l'allongement des lettres horizontales dans les inscriptions calligraphiques. Si le nom du calife n'est toujours pas présent sur les premières monnaies abbassides, il commence à apparaître sur certaines monnaies du règne d'al-Mahdi (775-785) ; il s'imposera par la suite et deviendra de règle.
Le monnayage proprement abbasside cesse au début du XIe s. , quand les Buwayhides réduisent les califes abbassides à l'état de chefs religieux de principe. Ainsi, le nom du calife abbasside est mentionné sur certaines monnaies d'autres souverains effectifs, par référence à son rôle de chef spirituel des croyants.
Dès le début du IXe s. , l'empire abbasside commence lentement à se désagréger, avec des provinces qui se déclarent indépendantes et un calife dont le pouvoir n'est plus que purement formel. Les monnaies comprises entre le IXe et le XIe s. sont elles aussi strictement calligraphiques. Les dénominations se multiplient, avec en particulier des fractions ou des multiples du dirham et du dinar (par exemple le demi-dirham, le double dirham ou le double dinar). Les inscriptions deviennent plus longues qu'auparavant, car elles comprennent le nom de celui qui fait frapper la monnaie, celui de son suzerain et celui du calife.
Les Seldjoukides et les Ayyoubides (IXe - XIIIe s.) :

Fals seldjoukide, frappé à Ispahan (XIe s.).

Dirham seldjoukide de Rum, frappé à Siwas (1241), sur lequel on voit apparaître un lion et le soleil, ainsi que l'inscription dans un carré au revers.
Les Turcs seldjoukides sont en pleine expansion au IXe s. et entrent en conflit avec les Abbassides. L'empire qu'ils fondent s'effondre cependant dès le XIIe s. et ne survit plus que sur le territoire de l'actuelle Turquie avec les Seldjouks de Rum. Les Seldjoukides ont de nombreux vassaux (atabeg), comme les Zangides d'Iraq et de Syrie ou les Artouqides de Turquie orientale ; ces vassaux frappent eux-mêmes de nombreuses monnaies.

Dirham ayyubide de Salah ad-Dîn, frappé en Egypte (XIIe s.).

Fals ayyubide d'al-Aziz Uthman, frappé en Egypte (XIIe s.).
Dans le même temps, l'Egypte, qui était sous la domination des Fatimides d'Afrique du Nord, est conquise par les Ayyoubides qui créent un état indépendant dont le célèbre Salah ad-Dîn (connu sous le nom de "Saladin" en Occident) est le fondateur.
Des Etats chrétiens de cette période frappent eux aussi des monnaies avec des inscriptions et selon des modèles arabes, comme les Normands de Sicile, les Croisés du Levant, ou encore les rois de Géorgie ou de Hongrie. Les chrétiens d'Espagne eux-mêmes copient des monnaies arabes.

Dirham de cuivre zangide , frappé à Mosul, avec un portrait de profil qui n'est pas sans rappeler les monnaies antiques nabatéennes, inscrit dans un carré, et au revers des inscriptions plus traditionnelles (1234).

Dirham de cuivre artouqide, frappé à Mardin, avec à l'avers un portrait repris des monnaies antiques et au revers une inscription arabe (XIIe s.).
Durant cette période, les monnaies évoluent, avec un développement des thèmes figuratifs, en particulier chez les vassaux des Seldjoukides. Les encadrements et bordures non circulaires se multiplient, comme le carré des Ayyoubides de Damas. L'étoile, comme l'étoile à six pointes des Ayyoubides d'Alep, est également un motif très courant.

Dirham ayyoubide d'al-Kamil Muhammad, frappé à Damas, avec le carré caractéristique (XIIIe s.).

Dirham ayyoubide d'az-Zahir Ghazi, frappé à Alep, avec l'étoile à six branches caractéristique.
Les Mamlouks (XIIIe - XVIe s.) :
Les Mamlouks renversent la dynastie Ayyoubide et constituent un Etat indépendant englobant l'Egypte, la Palestine et la Syrie. On distingue deux dynasties : les Bahrides (mlieu XIIIe s. - fin XIVe s.) et les Burgides (fin XIVe s. - début XVIe s.).

Dirham bahride d'an-Nasir Muhammad (début XIVe s.).
Leur monnayage est très varié en fonction du lieu de frappe et se distingue largement des modèles antérieurs. On abandonne par exemple en général les bordures qui étaient jusque là de rigueur. Le nom du sultan apparaît sur ces monnaies. Nous n'en parlerons pas plus pour le moment, puisque nous les rencontrerons à nouveau au sujet de l'Egypte.
Les Ottomans (à partir du XIVe s.) :
Les Seldjouks de Rum, qui s'étaient maintenus, disparaissent en 1307. Il en résulte que l'Anatolie se trouve divisée en un grand nombre de petites principautés (beylik). Parmi celles-ci, les Ottomans vont progressivement prendre le contrôle de l'Anatolie, avant de prendre pied en Europe. L'expansion de leur empire est inexorable à partir de la prise de Constantinople (1453), avec la conquête de l'Egypte (1517) puis du Maghreb.

Akcheh Isfandiyaride (beylik) (fin XIVe s.).
La principale monnaie des beylik et des premiers ottomans n'est plus le dirham arabe, mais l'akcheh d'argent, à côté de laquelle on trouve le manghir de cuivre. Au XIVe s., les inscriptions varient. Puis au XVe s., les Ottomans prennent l'habitude de mentionner sur leurs monnaies d'argent la date d'accession au trône, le lieu de frappe et le nom du sultan.

Akcheh ottomane de Mehmet II, frappée à Istanbul (1470).

Manghir ottoman de Mehmet II (fin XVe s.).
Vous retrouverez dans une page spécifique une liste des différents royaumes et états arabes ou turcs ayant frappé des monnaies durant ces différentes périodes et leur localisation géographique, avec des informations complémentaires sur les spécificités de leur monnayage.
Une astuce pour distinguer les monnaies islamiques :
Il est évidemment plus pratique de pouvoir lire l'arabe quand on s'intéresse aux monnaies islamiques anciennes. Mais ce n'est pas toujours le cas, et quand bien même les différentes calligraphies ne facilitent pas toujours la lecture, d'autant que les monnaies sont souvent de petit diamètre.

Dirham omeyyade d'al-Walid, frappé en 709 à Damas ; on peut lire au centre l'inscription :
لا اله الا الله وحيد
lâ ilaha illâ l-llah waHîd.

Fals omeyyade frappé vers 700 sur lequel on peut lire sur l'avers (à gauche) :
لا اله الا الله وحيد
lâ ilaha illâ l-llah waHîd.
et au revers (à droite) :
محمد رسول الله
Muhammadu rasûlu l-llah.
Une astuce consiste à connaître un certain nombre d'inscriptions courantes d'inspiration religieuse que l'on retrouve sur la plupart des monnaies arabes médiévales. Voici les plus courantes, avec leur graphie arabe vocalisée et non vocalisée (les voyelles brèves n'étant pas obligatoires à l'écrit en arabe, et elles ne le sont en général pas dans les inscriptions ; mais on peut trouver des inscritpions vocalisées), leur translittération et leur signification :
- لا إلَهَ إلاَّ الله
لا إله إلا الله
lâ ilaha illâ l-llah
"il n'y a de dieu que Dieu" *
- مُحَمَّدُ رَسُولُ الله
محمد رسول الله
muHammadu rasûlu l-llah
"Muhammad est le Messager de Dieu" *
- ألله وَحِيد
الله وحيد
Allah waHîd
"Dieu est Unique" **
* ce sont des passages de ce que les musulmans appellent la shahâda, ou profession de foi musulmane, l'un des Piliers de l'Islam.
** c'est un des 99 noms d'Allah.
Si vous lisez l'arabe, vous pourrez ensuite essayer de déchiffrer sur votre monnaie le nom du souverain, qui se trouve sur l'une des faces.

Liens :
Sur les monnaies islamiques anciennes, je vous recommanderais particulièrement deux sites qui sont très bien faits et illustrés, dont sont tirées les illustrations de cet article :
- le site de James N. Roberts sur les monnaies islamiques anciennes (en anglais), .
- The Maskukat Collection, site consacré aux monnaies islamiques et méditerranéennes médiévales (en anglais et en arabe).
Enfin, vous pouvez également consulter le site de l' Islamic Coins Group, qui fournit de nombreuses informations et des liens.