" Damas n'est pas extraordinairement riche en bâtiments publics, mais elle possède un véritable trésor de merveilleuses maisons. » ( Stefan Weber )
Brigid Keenan, Damas
photographies de Tim Beddow, traduit de l'anglais par Denis-Armand Canal, éd. Place des Victoires, Paris, 2001, rééd. 2008. (223 pages)
( photo de couverture : 'ataba de la grande salle de réception de Beyt Nizâm, Damas )
" La moderne Damas compte aujourd'hui environ quatre millions d'habitants et la Vieille Ville à l'intérieur de ses remparts n'est qu'une petite partie de l'immense agglomération qui s'est amplifiée ces cinquante dernières années. Mais elle reste le coeur et l'âme du lieu – unique, adamantine et infiniment fascinante. C'est la Vieille Ville qui fait que Damas est « Damas » et non l'une de ces villes comme on peut en trouver aujourd'hui partout sur la terre. " ( Brigid Keenan, Damas, p. 214 )
C'est aujourd'hui un superbe livre sur l'une des villes mythiques du Mashreq que je vous présente et vous recommande. Depuis des millénaires, Damas est une des grandes villes de la culture orientale, qui au fil des siècles a attiré et fasciné les voyageurs ; la vieille ville est d'ailleurs inscrite au Patrimoine Mondial par l'UNESCO. Journaliste et écrivain britannique, Brigid Keenan nous entraîne à travers son ouvrage à la découverte des magnifiques demeures anciennes de la ville. Une ville qu'elle connaît bien pour y avoir vécu plus de cinq ans, et dont elle est tombée amoureuse comme avant elle ses compatriotes Isabel Burton et l'extraordinaire Jane Digby. Elle commence par les situer dans le riche contexte historique et culturel de la capitale syrienne, en rappelant les grandes étapes et tous les noms illustres qui ont marqué l'histoire de cette cité d'Orient.
Puis elle nous introduit dans les plus belles de ces maisons, nous permettant par là même de comprendre les principes qui président à l'agencement d'une demeure damascène, la façon dont se sont élaborés les décors au fil des siècles. Un monde fascinant et raffiné, chargé de toute l'effervescence culturelle de cette partie du monde, où se rencontrent diverses influences. Un privilège, puisque certaines de ces demeures ne sont pas accessibles aux visiteurs, ou sont depuis gravemenent menacées - même si ces 20 dernières années ont vu émerger une conscience de la valeur inestimable de ce patrimoine architectural et que de riches et courageux mécènes, ainsi que le gouvernement syrien, ont entrepris des restaurations. On y apprend entre autres les noms et fonctions des différentes pièces, la différence entre salamlik et haramlik par exemple ; les techniques et éléments de décoration, comme la pâte de pierre, les plafonds ornés ou encore bien entendu les fameux carreaux émaillés de Damas. Le tout rendu vivant par des portions d'histoire des familles musulmanes, chrétiennes ou juives qui ont fait construire ou décorer ces maisons.
Quelques-unes des superbes illustrations de ce livre, avec de droite à gauche et de haut en bas : vue sur la cour du haramlik de Maktab 'Anbar ; l'extraordinaire plafond à poutres sous coffrage et muqarna de Beyt Shirâzi ; reflet dans un miroir de style damascène de l'une des salles de réception du palais Khâlid al-'Azem, aujourd'hui Musée National ; somptueux carreaux de Damas ajoutés au XVIIe s. pour orner le tombeau de Salah ed-Dîn.
L'ouvrage est magnifiquement illustré par les photographies de Tim Beddow, qui savent restituer la magie et la poésie de tous ces lieux, ainsi que par des documents anciens. Un plan permet de situer les différentes demeures, avec un récapitulatif en fin d'ouvrage et une intéressante bibliographie pour poursuivre la découverte.
Un livre que je recommande vivement à tous, que vous soyez passionnés d'art et d'architecture du Mashreq ou que vous ayiez envie de vous évader parmi les beautés de ce patrimoine trop souvent méconnu. Un indispensable dans votre bibliothèque. Et un livre dont le pari est réussi, puisqu'il donne plus encore envie de découvrir cette ville surtout connue pour sa célèbre mosquée des Omeyyades.
Je terminerai par deux citations extraites de la préface rédigée par Wafiq Rida Saïd :
" J'ai été élevé dans une vieille maison de Damas, une maison arabe traditionnelle avec une cour intérieure, comme celles que l'on voit dans ce livre. Lorsque j'y songe, je comprends avec quelle ingéniosité son architecte l'avait étudiée pour faire face aux contrastes du climat damascène. En été, nous vivions en bas, dans des salles fraîches et ombreuses qui ouvraient sur le jardin du patio, permettant aux fragrances du jasmin et des plantes de baigner la maison, mêlées aux senteurs du café et de la cardamome. Les sons apaisants des fontaines et d'une roue à eau rehaussaient la tranquillité de ce lieu intime, refuge bienvenu contre les ardeurs du soleil d'été. En hiver, notre vie se déplaçait et gagnait le premier étage où les pièces étaient aménagées exactement comme en bas, mais chaudement isolées du froid par des lambris de bois richement décorés et par des tapis merveilleusement travaillés. "
" Damas est une ville pleine de fascination, autant pour ceux qui y vivent que pour les voyageurs de passage. Damas est la ville des souks et des routes historiques traditionnelles : brocarts et artisans en tout genre, montagnes et déserts, oasis et fleuve avec le Barada, portes monumentales et mosquée des Omeyades, épices et parfums emportés par la brise. Mais par-dessus tout, la vieille cité de Damas est celle des maisons de famille : elles sont ses trésors cachés. (...) Ces maisons de Damas – qui est la plus vieille capitale du monde habitée continûment – méritent un meilleur sort que d'être abandonnées. "
Couverture de l'édition anglaise (2000), avec un magnifique décor de porte de Beyt Tibi.