Nous allons aborder dans nos promenades quelques petites notions d'architecture égyptienne, afin de mieux comprendre les monuments que nous rencontrerons. Vous l'avez sans doute remarqué, je suis un amoureux des colonnes, des chapiteaux et autres détails d'architecture. Je commencerai donc par le thème des colonnes dans l'architecture égyptienne antique. Il est important de connaître les différents types de colonnes, pas seulement pour le plaisir de les identifier, mais surtout parce qu'elles ont une fonction symbolique et permettent également de repérer l'époque d'un bâtiment.
Les éléments constitutifs d'une colonne.
L'Egypte a été la première civilisation à développer ce qu'on appelle des ordres, c'est-à-dire une façon déterminée de réaliser et de décorer l'ensemble d'une colonne en fonction d'un certain nombre de règles. Une colonne est formée de quatre parties essentielles : la base, socle sur lequel repose la colonne ; le fût, ou corps cylindrique de la colonne ; le chapiteau, ou partie supérieure de la colonne ; l'abaque, sorte de tablette sur laquelle repose ce que soutient la colonne. Un ordre consiste à appliquer à cet ensemble des formes et un décor fixés par des règles. On compte dans l'Egypte antique 7 ordres : hathorique, papyriforme, lotiforme, palmiforme, protodorique, en piquet de tente et composite.
Les colonnes monostyles de la cour du temple d'Edfou ; de gauche à droite : colonne papyriforme à corolle ouverte de tradition égyptienne, colonne lotiforme à corolle ouverte, colonne composite d'inspiration papyriforme, colonne palmiforme de tradition égyptienne, colonne composite d'inspiration lotiforme. La période tardive joue sur la combinaison entre les ordres et leur diversité.
Pour décrire ou identifier une colonne, on s'appuie sur deux éléments majeurs : d'abord la forme et le décor de son chapiteau, qui souvent est l'élément le plus immédiatement visible de l'ordre auquel la colonne appartient ; puis la forme et le décor du fût.
En se basant sur les ordres, on distingue :
La colonne hathorique est très facile à identifier, puisque son chapiteau est orné sur deux ou quatre faces d'une tête féminine à oreilles de vache, selon l'iconographie de la déesse Hathor. Elle est en particulier utilisée à partir du Moyen Empire dans des temples consacrés à des divinités féminines.
Colonnes hathoriques du temple de Denderah.
La colonne papyriforme, c'est-à-dire en forme de papyrus, sera la colonne la plus répandue dans l'art égyptien, connue dès l'Ancien Empire et extrêmement courante à partir du Moyen Empire. Le fût de la colonne correspond souvent, mais pas toujours nous le verrons, à une gerbe de tiges de papyrus liées juste sous le chapiteau, lequel représente l'inflorescence de la plante. On trouve deux variantes de colonnes papyriformes, qui souvent cohabitent dans un même espace, comme à Karnak : la colonne papyriforme à corolle fermée et la colonne papyriforme à corolle ouverte, ou colonne campaniforme (à cause de la forme de cloche). Les colonnes de cet ordre symbolisent la forêt originelle de papyrus portant le ciel. La base est souvent simple et écrasée, formant un disque lisse ou un boudin.
Colonnes papyriformes à corolle fermée, dans la grande salle hypostyle à Karnak.
Colonnes papyriformes à corolle ouverte, dans la grande salle hypostyle à Karnak.
La colonne lotiforme, en forme de lotus, est très proche de la précédente. Elle aussi représente une gerbe de lotus, liés entre eux sous le chapiteau, dont les fleurs et boutons se développent sur le chapiteau. Là aussi, les fleurs peuvent être fermées ou ouvertes. Le lotus symbolise la naissance du soleil au-dessus des eaux. Utilisée surtout dans l'architecture funéraire sous l'Ancien Empire, elle sera par la suite beaucoup employée dans les temples.
Colonne à chapiteau lotiforme à corolle ouverte à Edfou.
La colonne palmiforme, en forme de palmier, est également très répandue. Son chapiteau s'orne de 9 grandes palmes, légèrement recoubées vers l'extérieur dans leur partie haute. Le fût de la colonne, toujours lisse, représente bien sûr le tronc du palmier, mais celui-ci n'est pas figuré. Elle apparaît dès l'Ancien Empire. Le palmier est un symbole du ciel qui porte le soleil.
Colonne à chapiteau palmiforme à Edfou.
La colonne en piquet de tente, transposition de cet élément dans la pierre, n'est connu que par un édifice, l'Akhmenu de Karnak datant de Thutmosis III, et n'aura pas semble-t-il de développement ultérieur.
Colonne en piquet de tente dans l'Akhmenu de Karnak.
La colonne proto-dorique, dite aussi prismatique, ressemble un peu au dorique grec, d'où son nom. Le fût très massif, de diamètre décroissant, est cannelé, ne reposant en général pas sur une base, avec un chapiteau géométrique simple et très réduit. Elle apparaît dès l'Ancien Empire.
Colonnes protodoriques de la chapelle d'Anubis au temple d'Hatshepsut, Deir el-Bahari.
La colonne composite est caractéristique de la fusion des civilisations à l'époque tardive. Elle mêle non seulement des éléments de plusieurs ordres égyptiens (par exemple hathorique et papyriforme), mais aussi des éléments égyptiens et des éléments grecs, puis romains. Cela donne lieu à une grande variété de chapiteaux et de colonnes qui, au-delà de l'unité apparente, rendent le monde des temples tardifs fascinant dans le détail.
Chapiteau composite égypto-romain du Kiosque de Trajan à Philae. L'inspiration est celle des chapiteaux papyriformes égyptiens, mais les Romains y disposent les ombelles de papyrus comme les acanthes de leur ordre corinthien et y ajoutent les volutes et caulicoles de leur ordre composite.
Il n'est pas toujours aisé, avouons le, de distinguer colonnes lotiformes et papyriformes tant elles sont proches. C'est le décor du chapiteau qui permet souvent de les distinguer.
Ensuite, on distingue deux grands types de fûts, qui sont parfois indépendants de l'ordre :
La colonne fasciculée présente un fût formé par la réunion de plusieurs tiges. On la trouve essentiellement dans les ordres papyriforme et lotiforme.
Colonnes lotiformes fasciculées à corolle fermée, à Louqsor.
La colonne monostyle présente un fût lisse, qui peut être rehaussé de reliefs et de peintures. On la trouve dans la plupart des ordres, avec des variantes au niveau de la forme (plus ou moins étranglée en partie haute ou basse, bulbe plus ou moins important en partie basse, etc.).
Colonnes papyriformes monostyles à corolle fermée, dans la grande salle hypostyle à Karnak.
On peut donc avoir, par exemple, une colonne papyriforme fasciculée ou une colonne papyriforme monostyle ; en général, la colonne papyriforme fasciculée présente un chapiteau à corolle fermée.
Colonne lotiforme fasciculée à corolle fermée à Karnak.
Petit récapitulatif illustré...
Les mêmes principes et règles peuvent s'appliquer aux piliers, bien que ceux-ci soient souvent très sobres. La différence entre une colonne et un pilier est qu'une colonne a un fût cylindrique, alors que le pilier a un fût quadrangulaire (de section carrée ou rectangulaire). Dans le domaine des piliers s'ajoute un type qui n'existe pas pour les colonnes : le pilier osiriaque, dont le fût est composé ou est plaqué d'une représentation d'Osiris en semi-ronde-bosse.
Piliers osiriaques à Karnak.
Les colonnes ont une fonction architecturale : celle de porter les parties supérieures, comme les plafonds ou les étages. L'avantage d'une colonne par rapport à un mur de soutien, c'est qu'elle n'entrave pas la circulation à l'intérieur d'un bâtiment. Sa mise en place nécessite la prise en compte des poussées exercées par les parties hautes supportées ; si les colonnes égyptiennes sont aussi massives et impressionnantes par leurs dimensions, c'est entre autres parce que les plafonds étaient pour l'essentiel formés d'énormes blocs monolithes (formés d'une seule pierre) dont il fallait pouvoir supporter le poids et amortir les poussées.
Enfin, si les colonnes s'inspirent le plus souvent de la nature dans leur forme et leur ornementation, c'est qu'elles correspondent avant tout à une symbolique des végétaux ; et sans doute aussi qu'elles transposent dans la pierre des éléments qui étaient aux époques les plus anciennes réalisés en matières végétales (troncs d'arbres, gerbes de végétaux, piquets de bois, etc.).