La pipe à eau est appelée sous différents noms selon les régions du monde : en Arabie, en Egypte, en Libye et en Tunisie, on parle de shisha (ou shîsha) ; en Turquie, au Liban on l'appelle nargileh, un mot d'origine persane ; en Inde, hookah...
La shîsha du tableau de Delacroix, Femmes d'Alger... (1844).
Son origine se trouverait en Inde, à partir de laquelle son usage va se répandre en Perse et dans certains pays arabes. Mais ce sont surtout les Turcs ottomans qui ont favorisé sa large diffusion dans tout le monde arabe, en particulier à partir de la fin du XVIIIe s. et au début du XIXe s. ; ce sont eux qui lui ont donné la forme que nous lui connaissons actuellement.
La shîsha se compose de 5 parties :
- le corps, ou vase, dans lequel on place l'eau qui va refroidir la fumée de tabac et filtrer la nicotine ; selon les pays et les régions, il peut être en verre (shîsha du Moyen-Orient en général), en céramique ou en métal (au Pakistan et en Inde, en particulier).
- dans ce corps, on va insérer la cheminée, généralement en cuivre ou en laiton : elle comporte un tube dont l'extrémité trempe dans l'eau et par lequel la fumée va passer du foyer dans l'eau. Elle est également dotée d'une ou plusieurs sorties qui permettent de fixer le ou les tuyaux. Elle est plus ou moins ornée selon les modèles.
- le tuyau, lui aussi plus ou moins orné, comporte une partie qui s'insère dans la cheminée et l'autre, l'embout, que le fumeur porte à sa bouche et par laquelle il aspire la fumée. Une même shîsha peut avoir plusieurs tuyaux. En général, les fumeurs possèdent leur propre embout, qu'ils transportent avec eux lorsqu'ils se rendent dans un café à shîsha, et qui peut être orné à leur goût. Aujourd'hui, l'usage des embouts en plastique jetables s'est également répandu.
- le foyer est un élément en terre cuite, en faïence ou en métal, en forme de coupelle dont le fond est percé de trous ; il vient prendre place au sommet de la cheminée et reçoit la pâte de tabac sur laquelle on placera le charbon incandescent.
Parmi les ustensiles, on dispose d'une pince, plus ou moins ornée elle aussi, qui permet de saisir le charbon sans se brûler et de le déplacer sur le foyer tandis qu'on fume. Enfin, il existe aussi une sorte de couvercle de protection en forme de cloche qui vient se poser sur le sommet de la cheminée et recouvre le foyer pour pouvoir fumer en extérieur.
On fume avec la shîsha le mu'asel, un mélange de tabac, de mélasse obtenue à partir de la canne à sucre ou de miel, de glycérine et souvent d'arômes obtenus à partir d'huiles essentielles (pour les tabacs de qualité, les tabacs de qualité médiocre ont des arômes artificiels). Cela donne une pâte plus ou moins compacte que l'on place dans le foyer de la shîsha. A l'origine, les Turcs fumaient le "tombak", sorte de tabac cultivée en Turquie et en Iran mais dont les feuilles ne faisaient pas l'objet d'un tel mélange ; il existait déjà plusieurs qualités de tabac. Ce sont les Egyptiens qui auraient mis au point la technique du mélange du tabac avec la mélasse de canne à sucre, d'où la réputation des tabacs à shîsha égyptiens aujourd'hui encore ; ils comptent parmi les plus appréciés dans le monde arabe.
Zaghlul égyptien (à mon humble avis sans conteste le meilleur) , un délice corsé ; vous voyez les feuilles de tabac mélangées à la mélasse de canne à sucre.
Il existe tout d'abord plusieurs variétés de tabac, depuis la plus douce, ou bahrayni, jusqu'à la plus forte, ou zaghlul. Ces tabacs peuvent être fumés purs, seulement mélangés à de la mélasse, sans adjonction d'arôme. Le zaghlul, très réputé et apprécié des connaisseurs, en particulier dans le Bassin méditerranéen ; attention, son goût, bien que savoureux, est fort ; pas autant toutefois que le tabac maure, car il est adouci par la mélasse.
Mu'asel égyptien à la pomme ; notez la différence, le tabac étant mélangé
aux essences de fruits.
Ensuite, on trouve les tabacs aromatisés aux fruits (pomme, abricot, raisin, fraise, noix de coco, fruits exotiques, etc.), à la menthe, à la rose, au jasmin... Les producteurs rivalisent de nouvelles saveurs, mais un grand classique reste le tabac à la pomme.
Au café Omm Khalsoum, au Caire (photos cites-du-monde ) .
Bien que la shîsha puisse être fumée par les femmes, fumer est avant tout une affaire d'hommes. Fumer la shîsha, avec le rituel qui l'entoure, le glougloutement de l'eau dans le vase et la saveur délicate des tabacs, est un moment de calme et de sérénité ; on a pour coutume dire que la cigarette est synonyme de stress, alors que la shîsha évoque la torpeur orientale. C'est aussi un moment de convivialité, que ce soit dans les cafés ou chez soi avec des amis, ou encore dans la rue, devant sa maison ou sa boutique. Vous verrez souvent les hommes confortablement assis, fumant entre amis. Pour fumer la shîsha, il faut prendre le temps, savourer les arômes délicats et ne pas se presser...
Kaaper fumant la shîsha à Hurghada...
La shîsha est devenue ces dernières années un phénomène de mode dans de nombreux pays occidentaux, en particulier chez les jeunes, et on avait assisté à l'ouverture de cafés à shîsha, où l'on pouvait fumer en dégustant un thé ou un café turc. Les lois sur le tabac en ont eu raison la plupart du temps... Déjà au XIXe s. et au début du XXe s., les Occidentaux qui avaient séjourné en Orient avaient ramené cette habitude et des fumeries existaient en particulier dans les villes portuaires en relation avec l'Orient ; c'était le cas de Marseille ou de Toulon, où les officiers de Marine fréquentaient des fumeries réservées aux seuls hommes... Elle était aussi à la mode dans les milieux de la " bohême " parisienne du XIXe s., sous le nom de "hookah" en général...
A consommer avec modération, bien entendu...