Nous rencontrerons aujourd'hui un autre Français du XVIe s. qui s'est rendu en Egypte et nous en a laissé un très intéressant récit intitulé : Les Voyages du seigneur de Villamont, Chevalier de l'Ordre de Hierusalem, Gentilhomme du pays de Bretaigne (éditeurs Claude de Montroeil et Jean Richer, Paris, 1595). Faisons d'abord connaissance avec le personnage et son livre, puis dans un second article nous pourrons voir les détails de son voyage en Egypte et découvrir un choix de citations.
Page de garde de l'édition originale de 1595 des Voyages du seigneur de Villamont.
On sait peu de choses de Jacques de Villamont, gentilhomme breton et chevalier de l'Ordre du St-Sépulcre de Jérusalem1, né vers 1558 et mort vers 1625. Comme il le suggère lui-même dans sa préface des Voyages et dans le choix du personnage auquel il dédie ce livre, il est un militaire2. Il semble avoir été lié aux troubles de la Ligue en Bretagne, puisqu'il ferait partie des gentilshommes attachés à François de Carné, seigneur de Rosampoul et gouverneur de Morlaix, lors des intrigues du duc de Mercoeur avec l'Espagne dans cette province. Il publie également à Rouen, en 1597, un traité d'escrime traduit de l'italien3, ayant été l'élève du fameux maître d'armes italien Girolamo Cavalcabo ; il le dédie à Charles de Cossé, maréchal comte de Brissac, à l'entourage duquel il appartient alors. La réédition de 1600 de ses Voyages le présente comme " gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roy ", alors que l'édition originale de 1595 mentionnait simplement " gentilhomme de Bretagne ". Le sieur de Villamont se serait par la suite retiré en Bourgogne, à Savigny-lès-Beaune, vers la fin de sa vie.
La croix des chevaliers du St Sépulcre de Jérusalem, les cinq croix représentant les cinq plaies du Christ crucifié.
En tout, l'incroyable périple du sieur de Villamont dure plus de 3 ans, de juin 1588 à septembre 1591. C'est qu'il s'agit d'un voyage destiné à apprendre et à se former, dans des domaines variés outre celui des armes ; il dit dans sa Préface en être revenu plus " poly " (c'est-à-dire, dans le langage de son époque, portant la marque de la culture et du bon ton) et " propre aux affaires ". Parti de Bretagne en juin 1588, il prend le temps de voyager en Italie avant de s'embarquer pour Jaffa. Concernant le voyage en Orient, les motivations de Villamont, en tant que chevalier du St-Sépulcre, mais aussi comme nombre de ses contemporains, sont avant tout religieuses : sa priorité est de faire le pèlerinage vers les lieux saints de Palestine et d'Egypte. Mais comme ses contemporains aussi, il s'intéresse à tout ce qu'il peut observer, aussi bien les moeurs que les plantes, les animaux, les monuments... Sa démarche elle-même est originale, car il paraît convaincu que l'on a beaucoup à apprendre des voyages à l'étranger4. Il montre à plusieurs reprises qu'il a connaissance d'autres récits de voyage, comme celui de Pierre Belon. Etonnant pour un chrétien de son temps, alors qu'il séjourne plus de 5 mois en Egypte, il ne fait pas le pèlerinage au mont Sinaï. Puis il revient en Europe depuis Alexandrie, débarque à Venise en juillet 1590 et il ne rentrera en Bretagne qu'en septembre 1591.
Le quatrain qui figure à la fin de la Préface au Lecteur (la gravure servant de fond à ce montage est tirée de l'ouvrage de Pierre Belon, celui de Jacques de Villamont ne présentant aucune gravure).
Son voyage en Orient commence par la Terre Sainte et ce n'est donc que dans le 3e livre de son ouvrage que le sieur de Villamont évoque l'Egypte. L'usage d'alors voulant qu'on dédie son livre à un grand personnage, auquel on est en général lié ou redevable, il adresse le sien à Guy de Scépeaux, duc de Beaupréau5, militaire comme lui6. Il dit dans son adresse au lecteur qu'il a d'abord conçu le récit de ses voyages de jeunesse comme un mémoire pour lui-même, mais que des amis l'ont engagé à le publier. Il y voit un document qui pourrait être utile aux autres voyageurs français7. La première édition obtient l'autorisation du roi Henri IV en 1595, soit peu de temps après son retour. De nombreuses rééditions suivront rapidement8. L'une de ses originalités est qu'il est un des premiers à donner des informations pratiques, comme le change des monnaies, ce qui en fait en quelque sorte aussi un guide de voyage en Orient. Villamont note scrupuleusement de nombreux détails, rapporte volontiers des anecdotes. Il parle ainsi, au Caire, de sa rencontre avec un singulier personnage, le baron de la Faye, gentilhomme français converti à l'Islam, l'un de ces " rénégats " dont nous reparlerons prochainement.
Une leçon qui nous est donnée, par-delà les siècles, par un voyageur curieux de tout ce qu'il rencontre, même s'il n'en conserve pas moins parfois les préjugés de son époque.
Ce récit de voyage aura un grand succès et restera longtemps une référence mentionnée par de nombreux voyageurs et scientifiques par la suite ; il figurera dans de nombreuses bibliothèques de lettrés. Chateaubriand, par exemple, l'évoque encore dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem au XIXe s.
Notes :
1- L'Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem est un ordre chevaleresque militaire et religieux fondé dès 1099 pour la protection des lieux saints ; Jacques de Villamont consacre dans son livre un appendice à cet ordre auquel il appartient.
2- " (...) te priant de me vouloir excuser (...) si mon langage n'a esté enrichy de quelques belles fleurs d'eloquence, (...) attendu que je n'ay employé mon temps à suivre la trouppe des muses, mais plutost me suis adonné, voyageant par diverses provinces, à l'exercice des armes, comme propres et convenables à ma condition. " (Préface au Lecteur)
3- Traité ou instruction pour tirer des armes, de l'excellent Scrimeur Hieronyme Calvacabo, Bolognois, avec un discours pour tirer de l'espee seule, fait par le deffunct Patenostre de Rome, traduit de l'italien en François par le seigneur de Villamont, Chevalier de l'Ordre de Hierusalem, & Gentilhomme de la chambre du Roy, réédité plusieurs fois de 1597 à 1617.
4- " Entre les moyens que les anciens ont recherché pour acquerir la science de regir & gouverner les grands estats, & republiques, celuy semble avoir esté le principal & plus certain que l'experience & la cognoissance des gouvernemens estrangers apporte, pour ce que sur leur modelle on bastit telle forme qu'on veut, prenant des uns & des autres ce qui est bon, et delaissant le contraire. " (Préface au Lecteur)
5- Les Scépeaux sont une vieille famille de la noblesse d'épée du Maine et d'Anjou, au service du roi de France depuis le XIIe s. Il pourrait s'agir de Guy de Scépeaux, duc de Beaupréau et comte de Chemillé, mort au service du roi Henri IV en Poitou en 1597, personnage d'une certaine importance qui préside en 1579 les Etats de Bretagne à Nantes. Sa fille unique Jeanne de Scépeaux épousera en 1610 Henri de Gondi, duc de Retz .
6- " capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances de sa Majesté ".
7- " De moy (Amy Lecteur) je confesse avoir esté dés ma jeunesse fort curieux de voir pour apprendre, à quoy j'ay employé un fort long temps tant en l'Europe qu'en Asie, apportant tout ce que j'ay peu de diligence & d'exacte recherche, pour m'en retourner avec un esprit plus poly & propre aux affaires, je ne sçay si mon labeur m'a succedé selon mon desir. (...) ay mis par escrit ce que j'ay veu et cogneu de singulier & rare par tout où j'ay esté, dont un autre qui sera employé en meilleurs affaires que je ne suis, pourra faire son profit. " (Préface au Lecteur)
8- Réédité pas moins de 25 fois entre 1595 et 1620 !