Il existe en arabe plusieurs mots pour désigner la maison : bayt ( ar. بَيـت , prononcé " beyt " en égyptien et dans de nombreux dialectes ), manzil ( ar. مَنْـزِل ) ou encore dâr ( ar. دار ). Dans la langue courante, on peut généralement utiliser aujourd'hui l'un des trois pour signifier l'idée de domicile, d'habitation ; une telle variété surprend au premier abord quand on apprend l'arabe, et on en vient souvent à se demander lequel de ces termes est le plus approprié. En réalité, à l'origine et en architecture islamique, il existe quelques nuances entre ces diverses appellations qu'il n'est pas inintéressant de connaître.
Bayt désigne une maison en général, c'est en quelque sorte le terme le plus neutre. Cependant, il a également, en arabe comme en français, le sens de maison avec la notion historique de " dynastie / famille " ; de sorte que le mot Beyt associé à un nom de famille sert souvent à désigner une demeure de famille, restée dans la même famille durant plusieurs générations, ou encore appartenant ou ayant appartenu à une famille de notables. Dans l'architecture omeyyade et abbasside enfin, plus particulièrement, le terme " bayt " est également employé pour signifier les espaces d'habitation d'un palais, par opposition aux espaces officiels et de réception.
Exemples cairotes : Beyt es-Suhaymi ( XVIIe-XVIIIe s. , époque ottomane ) ; ou encore Beyt el-Kiritleyya / Beyt Amna Bint Salim ( XVIe - XVIIe s. , époque ottomane ) qui ont été réunies pour former l'actuel musée Gayer-Anderson.
Maq'ad* à Beyt el-Kiritleyya / Beyt Amna Bint Salim, aujourd'hui musée Gayer-Anderson, près de la mosquée Ibn Tûlûn au Caire.
Manzil désigne plutôt, à l'origine tout au moins et au sens strict, une maison organisée autour d'une cour intérieure, type d'habitation très répandu dans le monde arabe. Dans certaines régions du Mashreq, en particulier en Palestine, on désigne aussi ce type de maison par le terme " Hôsh " ( ar. حَوْش , Hawsh en arabe littéral ), qui signifie en principe la cour elle-même ; en Egypte par exemple, c'est la cour intérieure qu'on appelle " Hôsh ".
Exemples cairotes : Manzil Zeynab Khatoon ( XVe-XVIIIe s. , époques mamluk et ottomane ), dans le quartier de la mosquée el-Azhar ; ou Manzil Gamal ed-Deen ed-Dahab ( XVIIe s. , époque ottomane ), près de Bab Zuweyla.
Ce sont dans les deux cas des maisons individuelles, en tout cas initialement au moment de leur construction - les immeubles et habitations collectives portent d'autres noms. Il est en fait bien difficile, au-delà de la théorie, de faire une réelle distinction entre " bayt " et " manzil ". Très souvent, on appelle également " bayt " des demeures à cour centrale dans les régions où ce type de maison est la règle. Il n'y a pas clairement de distinction d'origine sociale. Les demeures qualifiées de " bayt " ou de " manzil " ont souvent été construites ou ont appartenu à des familles de riches notables, en particulier de marchands comme c'est le cas pour les exemples cairotes mentionnés ci-dessus ; il semblerait cependant que le terme de " manzil " soit quelque peu plus prestigieux, même si ce n'est pas toujours le cas. Pas de véritable distinction non plus concernant les dimensions : une très vaste demeure à plusieurs cours intérieures peut tout aussi bien être qualifiée de " bayt " que de " manzil ".
Plan du 1er étage de Manzil Zeynab Khatoon, au Caire, avec ce qu'on appelle le haramlik*, ou espace réservé aux seuls membres de la famille ; le salamlik*, espace de réception publique réservé aux hommes, se trouve au rez-de-chaussée, juste en-dessous du qâ'a* principal ( montage d'après un plan du site Touregypt ).
Dâr, par contre, est en terme architectural plus facile à distinguer des deux autres. Ce mot a à l'origine la connotation spécifique de demeure aisée de la haute société, de vaste demeure, voir même de palais. Il qualifie les vastes demeures appartenant à de hauts personnages. C'est en quelque sorte le terme arabe le plus proche de l'idée occidentale d' " hôtel particulier " ou de " palais " en contexte urbain. Pourtant, on emploie aussi souvent en arabe, surtout aujourd'hui, pour traduire " palais " le mot " qasr " ( ar. قَصْر ) ; à l'origine cependant, " qasr " désignait plus particulièrement un palais fortifié, pratiquement synonyme dans ce sens de " qal3a " ( ar. قَلْعَة ) signifiant " forteresse " et ainsi équivalant à la notion occidentale de " château-fort ". " Qasr " désigne en fait plus particulièrement les palais des dirigeants, sultans ou autres.
Exemples cairotes : Dâr Taz ( XIVe s. , époque mamluk ) , palais construit pour un notable ayant épousé la fille du sultan ; pour les palais, on trouve aussi dans l'enceinte de la Citadelle du Caire Qasr el-Gawhara ( construit par Mohammed Ali au début du XIXe s. ), ou encore l'ancien Qasr el-Ablaq ( XIVe s. , époque mamluk ).
Liens :
Vous pourrez, en attendant que nous revenions plus particulièrement sur certains de ces édifices, en trouver des photos sur les sites Archnet et Touregypt .
* Nous reviendrons dans de prochains articles sur les termes désignant les différentes pièces et autres éléments de la maison en contexte islamique.