Sainte Barbe, d'après un manuscrit médiéval : son attribut est la tour, et elle porte la palme en tant que martyre.
Aujourd'hui, c'est un jour important dans toute la Provence : la Ste Barbe. Cette fête familiale marque le début du Noël provençal, qui est sans doute la grande fête de l'année dans notre région, celle à laquelle sont restées attachées le plus de traditions. C'est le jour où les Provençaux font sortir de leur carton les fameux santons et installer la crèche, dont nous reparlerons dans une autre article ; crèche qui ne sera démontée que très tard, pour la Chandeleur. Mais surtout, c'est le jour d'un petit rituel familial qui remonte à l'Antiquité et qui est indispensable à tout Noël provençal qui se respecte : la plantation du blé et des lentilles.
Le blé, symbole de fécondité et de fertilité agricole...
Le 4 décembre, en effet, on met à germer dans de petits récipients, sur de la mousse ramassée dans la colline ou le plus souvent sur du coton, des grains de blé et des lentilles ; en principe, on prépare 3 récipients, le chiffre 3 étant essentiel dans la symbolique de Noël en Provence. Ce sont souvent les enfants qui se chargent de cette tâche. Tous les jours, jusqu'à Noël, on va maintenir la mousse ou le coton humides de façon à ce que les grains germent, ce qui intervient au bout de quelques jours déjà. Autrefois, selon si les grains germaient facilement ou non, selon la qualité des pousses, on y voyait de bons ou mauvais présages pour l'année à venir. Le 24 et le 25, on liera les pousses avec des rubans rouge et or, aux couleurs de la Provence, et on placera les récipients soit sur la table du repas familial pour l'une d'entre elles, soit dans la crèche, pour les deux autres. Ensuite, on laisse les pousses se dessécher. En principe, les pousses doivent être conservées jusqu'au démontage de la crèche, à la Chandeleur. A la campagne, on enterrait ensuite les pousses aux extrémités des champs pour assurer la fertilité. En ville, on les laisse tout simplement se dessécher.
... et les lentilles, symboles elles aussi de germination, mais également, de par la forme de la graine de lentille, de prospérité.
Cette tradition, certains prétendent qu'elle remonterait à l'époque grecque. En réalité, elle a été amenée en Provence par les Romains depuis l'Egypte. L'Egypte, me direz-vous ?! Il y a là de quoi passer pour un "fada " ! En effet, le culte d'Isis s'est répandu rapidement dans tout le monde romain, y compris bien sûr en Provence. Or, l'une des cérémonies liées au culte d'Isis et de son époux Osiris consistait à faire germer des grains de céréales dans de petites figurines de terre. Ce sont les "Mystères d'Osiris ", connus entre autres par les textes du temple de Denderah, et durant lesquels on fabriquait ces figurines d'Osiris Khenty-Imentet et de Sokar-Osiris. Ces cérémonies avaient lieu durant le mois de Khoiak, dernier mois de la saison Akhet (l'inondation du Nil, symbole de renouveau et espoir de germination) qui correspond à peu près à la mi-novembre de notre calendrier. Mon amie Tifet, étudiante en égyptologie, vous en explique très bien le déroulement dans un article qu'elle y a consacré sur le forum Aetas, que je vous invite à consulter.
La figure d'Osiris en germination sur une représentation du papyrus Jumilhac.
Comment a pu s'opérer ce glissement de la religion de l'Egypte ancienne jusqu'au christianisme provençal ? Nous l'avons vu, les Romains ont adopté entre autres cultes orientaux celui d'Isis, associée à son époux Osiris ; des Iseum, temples d'Isis, ont été retrouvés dans tout l'empire. Le culte d'Isis est l'un de ceux qui ont résisté le plus longtemps à la christianisation, jusqu'aux IVe-Ve s. Il a donné également naissance à un autre symbole important du christianisme, comme nous en reparlerons dans un prochain article : celui de la Vierge à l'Enfant, directement issu de la figure d'Isis allaitant Horus-Harpocrate. Le glissement s'est opéré naturellement dans le cas des plantations de la Ste Barbe, puisque l'on y retrouve les symboles de fécondité et de renaissance qui président aux fêtes de Noël ; quant à la période de l'année, elle correspond à peu près et il n'a pas dû être très difficile de l'associer aux pratiques populaires préparant cette fête importante.
Le rituel osirien de Khoiak d'après un relief du temple d'Isis à Philae.
Et voilà comment, sans le savoir bien souvent, les Provençaux perpétuent une tradition très ancienne qui nous vient de l'Egypte antique !