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3 juillet 2014 4 03 /07 /juillet /2014 07:25

Peiresc-Finsonius-large.jpg

 

Nous reviendrons ultérieurement sur la figure de Nicolas Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), gentilhomme provençal qui fut un des plus grands savants du début du XVIIe s. Pour le moment, c'est en tant que l'un des précurseurs de l'égyptomanie que cet homme curieux de tout retiendra notre attention.

 

Peiresc avait des correspondants dans le monde entier et faisait venir à grands frais plantes, animaux et objets qui entraient dans ses collections et devenaient objets d'études. Il avait ainsi acclimaté dans sa bastide de Belgentier, près de Toulon, des papyrus du Nil venus tout droit d'Egypte !

 

Il est l'un des premiers hommes de son temps à s'intéresser à l'Egypte antique, dans une démarche scientifique en tout cas. Il collectionne les objets venus d'Egypte, qu'il conserve dans son cabinet de curiosités, à Aix-en-Provence et dans la bastide de Belgentier : momies, sculptures et bas-reliefs, statuettes, vases canopes, céramiques, amulettes...  Il les fait dessiner, ce qui nous permet aujourd'hui de les connaître, puisque sa collection fut plus tard dispersée et en grande partie perdue. A Belgentier, il fait débandeletter une momie tout en prenant de précieuses notes ; il est alors l'un des rares à apporter aux momies un tel intérêt.

 

Il a des correspondants en Egypte, en particulier le Marseillais Magy qui lui envoie du Caire et d'Alexandrie, par l'intermédiaire de son frère resté à Marseille, non seulement des courriers, mais encore des objets. Egalement Jacques Albert, un marchand marseillais établi au Caire ; le père capucin Agathange de Vendôme, qui se charge de lui trouver en Egypte des textes coptes et arabes, en particulier dans les monastères du désert. François Laur, patron de barque, lui sert pour transporter les courriers entre la Provence et Alexandrie. 

 

En 1620, il reçoit d'Alexandrie une petite stèle en fritte émaillée bleu turquoise sur laquelle il est intrigué par les inscriptions hiéroglyphiques. En 1626, ce seront des papyrus antiques et coptes, qui continuent d'éveiller son intérêt pour cette langue non encore déchiffrée. On oublie souvent que Peiresc fait partie des tous premiers à s'intéresser aux textes coptes et à en faire venir en Europe, il encourage leur étude systématique et se tient au courant de l'avancée des travaux grâce à son réseau de relations. Sa correspondance avec le père Gilles de Loches, qui étudie les langues orientales, comporte de nombreux passages évoquant l'Egypte et la langue copte, ainsi que les recherches que Peiresc y fait mener par ses correspondants. Notre insatiable Provençal pousse son ami l'abbé Athanase Kircher (1602-1680) à tenter de déchiffrer les hiéroglyphes et à traduire le copte, dont il a pressenti le lien avec l'ancienne langue égyptienne ; nous reparlerons de Kircher, qui fut le premier à proposer une théorie de déchiffrement des hiéroglyphes, deux siècles avant le grand Champollion !

 

 

vases_canopes_grand_peiresc.jpg

L'un des vases canopes de la collection de Peiresc, détail de la planche CXXXIII du tome II de L'Antiquité expliquée et représentée en figures de Bernard de Montfaucon, Paris, 1719.

 

 

Pour terminer, je vous conseille la lecture d'un ouvrage si ce personnage de Peiresc et son rapport à l'Egypte vous intéressent : Sydney H. Aufrere (ancien membre de l'Institut Français d'Archéologie Orientale au Caire et chercheur au CNRS) , La Momie et la Tempête, ou Nicolas Claude Fabri de Peiresc et la "curiosité égyptienne" en Provence au début du XVIIe s. , éd. A. Barthelemy, Avignon.

 

Vous pourrez aussi trouver une partie de la correspondance de Peiresc, avec l'évocation de ses échanges avec l'Egypte, sur la base Gallica de la BNF.

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25 juin 2014 3 25 /06 /juin /2014 07:52

Suite à l'Expédition française en Egypte, à laquelle avaient participé de nombreux savants, paraît de 1809 à 1828 la "Description de l'Egypte", ouvrage monumental qui marque un tournant important dans l'histoire de la connaissance de l'Egypte, mais aussi dans les développements de l'égyptomanie. Monumental, dans tous les sens du terme : certains volumes ont pratiquement 1m de haut ! L'ensemble comprend, rappelons-le, plus de 20 volumes, il fit intervenir plus de 80 artistes et 400 graveurs ! 

 

 

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Il fallait, pour ranger cet ouvrage d'exception, concevoir un meuble approprié. C'est Edme François Jomard 1 qui conçut le projet d'un meuble "retour d'Egypte", dont la réalisation fut confiée à l'ébéniste parisien Charles Morel. C'est un meuble dont la forme s'inspire des édifices égyptiens, flanqué de deux pilastres à chapiteau hathorique et un entablement, juste sous le plateau, orné de l'uraeus. Le plateau peut être basculé et se transforme en lutrin adapté aux dimensions des volumes de la "Description de l'Egypte". Il comprend dans sa partie basse, ouvrant sur l'original par deux vantaux ajourés, des tablettes munies de roulettes sur lesquelles les volumes reposent à plat.


    Morel réalisa plusieurs exemplaires de ce meuble, dont au moins 6 sont aujourd'hui connus. Les plus précieux sont en acajou et placage d'acajou. L'ébéniste a également réalisé des variantes moins luxueuses en bois fruitier ou plaqués d'amarante.

 

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Un exemplaire original en noyer se trouve au Palais du Luxembourg, dans la bibliothèque du Sénat ; il a été offert par le roi Louis-Philippe à la Chambre des Pairs. Un autre se trouve dans la bibliothèque de l'Assemblée Nationale. Un troisième a appartenu à Clot Bey2, auquel il avait sans doute été offert par Louis-Philippe.
   
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1- Edme François Jomard (1777-1862), ingénieur et archéologue français qui a participé à l'Expédition d'Egypte, conservateur de la Bibliothèque royale.
2- Clot Bey : Antoine Barthélémy Clot (1793-1868), chirurgien français qui s'illustra en Egypte.
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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 11:38

charlesX.jpg

 Charles X, roi de 1824 à 1830, continue de soutenir  activement les recherches françaises en égyptologie. A la fin des années 1820, il  fait réaménager une partie du Louvre pour recevoir les collections antiques et égyptiennes.

 

 

 

Poursuivant les aménagements de l'aile du Louvre longeant la rue de Rivoli sous la Restauration, le roi Charles X a fait décorer des salles qui ont récemment été réhabilitées et réaffectées à leur vocation première. Parmi celles-ci se trouvent deux salles ornées de superbes décors plafonnants ayant trait à l'Egypte, puisqu'elles avaient été conçues pour abriter les collections rassemblées entre autres par Champollion : la 6e salle, qui abrite aujourd'hui les collections égyptiennes de la période allant des Nectanébo aux Ptolémées ; et la 7e salle, celles de la 3e Période Intermédiaire à la domination perse. Toutes deux se trouvent au 1er étage de l'aile Sully. Les collections égyptiennes furent réorganisées en 1826-1827, époque à laquelle ces décors ont été réalisés. C'est Fontaine, architecte fétiche du néo-classicisme et de la référence archéologique au début du XIXe s., qui fut chargé de diriger le projet. Le musée Charles X fut solennellement inauguré en 1827.

 

 

letude_et_le_genie_devoilent_lantique_egypte_a_la_grece-gal.jpg  François Picot, " L'Etude et le Génie dévoilent l'Egypte à la Grèce " : vue d'ensemble...

 

details-picot-copie-1.jpg ... et détails (de haut en bas et de gauche à droite) : l'Egypte ; le Nil appuyé sur son crocodile ; pyramides et obélisque ; l'Etude, la Grèce et le Génie ; détail d'un angle de la frise ; détail des objets égyptiens.

 

Le plafond de la 6e salle s'orne en son centre d'une grande peinture, " L'Etude et le Génie dévoilent l'Egypte à la Grèce ", réalisée par François Picot. Elle fait allusion à la période ptolémaïque, mais aussi à l'idée que la civilisation européenne antique doit une partie de son génie à la rencontre entre tradition grecque et tradition égyptienne, tout cela suivant l'imagerie du XIXe s. qui correspond à la naissance de l'archéologie.

 

 detail-frise.jpgL'ensemble du motif de la base du plafond, avec l'uraeus encadré par les Sekhmet avec les guirlandes...

 

 

 

La mise en scène est très conventionnelle, caractéristique du néo-classicisme de la peinture d'histoire de cette période. La Grèce, juchée sur un nuage et surmontée d'un arc-en-ciel, est figurée par une femme vêtue d'une tunique blanche et d'un manteau rouge, symbole de pouvoir que confirment le sceptre et le diadème ; figure hiératique faisant penser à Hera. Elle est accompagnée par l'Etude, coiffée de lauriers, qui soulève avec l'aide de putti le voile qui dissimulait l'Egypte, et le Génie, qui tient la torche du savoir. Aux pieds de la Grèce, un putto tenant un manuscrit et une lampe à huile, ainsi que la chouette, symbole d'Athéna, déesse de la sagesse et du savoir. Le thème du voile soulevé, outre la symbolique propre au thème de la composition, fait aussi sans doute référence à la vogue du thème du voile d'Isis.

 

 

detail-uraeus-frise.jpg

 

L'Egypte est assise sur un trône dans l'angle inférieur gauche, les pieds sur un repose-pieds, tous deux inspirés de l'antique. Elle porte la couronne vautour des souveraines égyptiennes, une robe rehaussée d'ailes qui laisse sa poitrine découverte et tient dans une main le papyrus et le lotus, symboles du Double Pays. Derrière elle est allongée une divinité fluviale qui représente le Nil, selon l'iconographie gréco-romaine, appuyée sur un crocodile. Autour sont rassemblés des éléments destinés à évoquer l'Egypte : des lions allongés évoquant les sphinx flanquent le trône, près duquel on distingue également au premier plan un vase d'albâtre peint figuré avec réalisme, un sistre, une dague ; au second plan, les trois pyramides de Gizeh et un obélisque. Il existe une version préparatoire sur toile de cette composition, qui montre l'évolution du projet.

 

A la base du plafond court une frise peinte sur fond rouge ornée de motifs en trompe-l'oeil évoquant eux aussi l'Egypte ancienne, mais mêlés à des références gréco-romaines. Sur chaque côté de la pièce, un grand uraeus est flanqué de statues de la déesse lionne Sekhmet ; ces statues supportent des guirlandes végétales à la grecque, comme sont grecs les rinceaux d'acanthes qui ornent les angles. On distingue également des objets égyptiens, comme un vase canope à tête de Douamoutef ou des instruments de musique, ou encore des ibis sacrés.

 

 

frise-plafond1.jpg  Les Sekhmet supportant des guirlandes, avec un ibis sacré et quelques objets égyptiens...

 

 

Le plafond de la 7e salle s'orne quand à lui d'une autre composition, " L'Egypte sauvée par Joseph ", d'Abel de Pujol. Ici, l'allusion biblique rappelle que pour le monde occidental, l'Egypte ne fut longtemps connue qu'à travers les récits de la Bible. Dans l'esprit du XIXe s., cet épisode évoque donc naturellement la période ancienne de l'histoire égyptienne.

 

 

tableau-pujol-gel.jpg  Abel de Pujol, " L'Egypte sauvée par Joseph " : vue d'ensemble du tableau plafonnant...

 

 

 

vue-ensemble-plafond.jpg

... et l'ensemble dans son contexte, avec son décor floral, ses uraei et ses figures divines. 

 

 

 

Là encore, la scène est très rigide et caractéristique de la période. L'arrière-plan est fermé par une architecture égyptienne qui évoque le réalisme inspiré par les relevés de l'expédition d'Egypte. Sous le porche à quatre colonnes se tient Pharaon, assis sur son trône à côté duquel apparaît une tête d'Hathor identique à celles qui ornaient les barques sacrées. Un serviteur de Pharaon tient une enseigne du dieu ibis Thot. 

 

 

 pujol-details.jpg

Détails (de haut en bas et de gauche à droite) : Jsopeh soutenant l'Egypte ; Pharaon sous son porche ; la croix ankh, symbole de vie, aux pieds de Jospeh ; détail de la bordure du plafond ; détail du réalisme archéologique des architectures ; le peuple d'Egypte.  

 

Au premier plan, sur la droite, Joseph est vêtu d'une tunique blanche et d'un manteau rouge et est coiffé du némès. Pour bien montrer qu'il n'est pas Egyptien, il est figuré avec la peau très blanche, contrastant avec le teint hâlé des Egyptiens. Il soutient l'Egypte, qui s'effondre dans ses bras sous les traits d'une femme vêtue de blanc, coiffée de la couronne vautour et dénudée jusqu'à la taille. Du sceptre ouas qu'il tient dans la main droite, il repousse les harpies qui assaillent l'Egypte. A ses pieds se trouve une croix ankh, symbole de vie, inspirée des nombreuses amulettes trouvées sur les sites égyptiens. A l'extrême gauche, un chien crachant du feu qui pourrait être Cerbère, le gardien des Enfers. A droite se trouve le peuple d'Egypte, avec des gestes et regards d'imploration.

 

Le tableau est entouré d'une large frise de motifs égyptisants formant un cadre : l'uraeus, le scarabée de Khepri, l'ibis de Thot, Anubis couché sur son catafalque, Horus. Le tout mêlés à des motifs grecs de rais de coeur et de rosettes.

 

Ici aussi le plafond est souligné par une large frise peinte sur fond rouge. Mais ce sont des figures nues en trompe-l'oeil qui tiennent les guirlandes de chaque côté de reliefs en grisaille à motifs grecs. Au-dessus de chacune des guirlandes se dresse un pilier djed. Les figures masculines, comme le montre le vase d'où s'échappe de l'eau, symbolisent le Nil. Dans les angles se déploient de grandes palmettes grecques.

 

 

 

panneau-frise.jpg 

Au centre , des figures nues coiffées d'une perruque égyptienne rehaussée d'une fleur de lotus ; à gauche et à droite le Nil avec son vase d'où l'eau jaillit ; au-dessus des guirlandes végétales,  le pilier djed .

 

 

 detail-frise1.jpg

 

 

On le voit bien à travers ces deux décors plafonnants, on n'en est pas encore à cette époque à la reconstitution scrupuleuse : la référence reste le modèle gréco-romain et les éléments égyptisants sont encore, même si on y observe un souci de réalisme archéologique, anecdotiques. C'est un trait que l'on trouvait déjà dans le style " retour d'Egypte " qui a marqué les arts décoratifs au retour de l'expédition française.

 

 

detail-frise2.jpg

Ce décor à l'égyptienne prend place dans un contexte néo-classique de type gréco-romain.

 

Ainsi, lorsque vous visitez les superbes collections égyptiennes du musée du Louvre, n'oubliez pas de prendre le temps d'observer aussi le décor des salles, en particulier celles-ci qui témoignent de la volonté d'adapter le décor aux collections auxquelles il devait servir de cadre.

 

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24 février 2009 2 24 /02 /février /2009 17:13

Nicolas Fouquet, esthète, mécène et collectionneur... mais aussi l'un des premiers grands personnages français à posséder des antiquités égyptiennes.


Le lien, me direz-vous, entre Jean de La Fontaine, Nicolas Fouquet et l'Egypte ? Deux sarcophages égyptiens qui ont appartenu aux collections du fastueux surintendant, évoqués dans les vers d'une épître adressée par La Fontaine à son protecteur, que voici.


Jean de La Fontaine, protégé de Fouquet, qui n'a pas écrit que les fameuses Fables...



« (...)
J'attendrai fort paisiblement
En ce superbe appartement
Où l'on a fait d'étrange terre1
Depuis peu, venir à grand' erre
(Non sans travail et quelques frais)
Des rois Céphrim et Kiopès2
Le cercueil, la tombe ou la bière :
Pour les rois, ils sont en poussière.
C'est là que j'en voulois venir.
Il me fallut entretenir
Avec ces monuments antiques,
Pendant qu'aux affaires publiques
Vous donniez tout votre loisir.
Certes j'y pris un grand plaisir.


Vous semble-t-il pas que l'image
D'un assez galant personnage
Sert à ces tombeaux d'ornement ?
Pour vous en parler franchement,
Je ne puis m'empêcher d'en rire.
Messire Orus3, me mis-je à dire,
Vous nous rendez tous ébahis :
Les enfants de votre pays
Ont, ce me semble, des bavettes
Que je trouve plaisamment faites.
On m'eût expliqué tout cela ;
Mais il fallut partir de là
Sans entendre l'allégorie.


Je quittai donc la galerie,
Fort content, parmi mon chagrin,
De Kiopès et de Céphrim,
D'Orus et de tout son lignage,
Et de maint autre personnage.
Puissent ceux d'Egypte en ces lieux,
Fussent-ils rois, fussent-ils dieux,
Sans violence et sans contrainte,
Se reposer dessus leur plinthe
Jusques au bout du genre humain !
Ils ont fait assez de chemin
Pour des personnes de leur taille.4


Et vous, seigneur, pour qui travaille
Le temps qui peut tout consumer,
Vous, que s'efforce de charmer
L'antiquité qu'on idolâtre,
Pour qui le dieu de Cléopâtre,
Sous nos murs enfin abordé,
Vient de Memphis5 à Saint-Mandé,
Puissiez-vous voir ces belles choses
Pendant mille moissons de roses !
Mille moissons, c'est un peu trop ;
Car nos ans s'en vont au galop,
Jamais à petites journées.
Hélas! les belles destinées
Ne devroient aller que le pas.
Mais quoi ! Le ciel ne le veut pas.
Toute âme illustre s'en console,
Et pendant que l'âge s'envole
Tâche d'acquérir un renom
Qui fait encore vivre le nom
Quand le héros n'est plus que cendre.
Témoin celui qu'eut Alexandre,
Et celui du fils d'Osiris,
Qui va revivre dans Paris. »


(Epître IV, à M. Fouquet, 1659 - in Oeuvres de La Fontaine, vol. 5, éd. E.-A. Lequien, Paris, 1824, pp. 9-14)




Ces sarcophages égyptiens sont arrivés en France le 4 septembre 1632, transportés depuis la Thébaïde au Caire et à Alexandrie, achetés par un marchand français puis envoyés à Marseille à grands frais. Seuls les couvercles ont été emmenés en France. Selon les informations fournies par les auteurs qui les ont vus, il s'agit de sarcophages de pierre d'environ 2m de haut ;le poids de chacun est estimé à 300 kg. L'un était en basalte noir, l'autre en calcaire blanchâtre.


Inscriptions relevées par Le Royer de la Sauvagère sur l'un des sarcophages au XVIIIe s.


Ils furent achetés par Nicolas Fouquet (1615-1680), surintendant des Finances, pour sa propriété de St-Mandé6. Fouquet compte ainsi parmi les premiers grands personnages français à avoir des antiquités égyptiennes. Des savants s'y intéressèrent, comme le père Athanase Kircher (1602-1680), à leur arrivée à Marseille, puis le voyageur Jean de Thévenot (1633-1667) , qui les vit à St-Mandé ; tous deux les ont mentionnés dans leurs ouvrages7. On en trouve aussi mention dans l'Epître de La Fontaine et dans une Ode au Sarcophage8. Fouquet les fera plus tard transporter au château de Vaux, où Melle de Scudéry raconte qu'il aurait fait construire pour eux dans le parc deux petites pyramides9.


Après Fouquet, les sarcophages ont appartenu un temps au célèbre André Le Nôtre, qui faisait partie de l'entourage du surintendant.


Après la mort de Fouquet, les sarcophages appartiennent à Le Nôtre (1613-1700) 10, contrôleur des Bâtiments du Roi ; puis celui-ci les offrit à Louis Bernin de Valentinay, contrôleur général de la Maison du Roi, qui les plaça sur la terrasse de son château d'Ussé11, où ils restèrent jusqu'en 1807. Le propriétaire d'alors les fit transporter à Paris. En 1843, un certain Bonnardot prétend avoir retrouvé les sarcophages ayant appartenu à Fouquet dans l'ancienne abbaye de Longchamp, mais se trompe en disant que le surintendant en aurait fait don à l'abbaye avant sa disgrâce. Ils ont été mis en vente en 1844.


Le père jésuite Athanase Kircher, qui fut le premier à observer et décrire les deux sarcophages égyptiens ayant appartenu à Fouquet.

Leur description la plus ancienne se trouve dans l'ouvrage du père Kircher, Oedipi Aegyptiaci theatrum hieroglyphum12 . « (...) étant à Marseille en 1632, il y vit deux grandes statues qu'un marchand de cette ville avait rapportées d'Egypte ; qu'il les fit dessiner, et que le père jésuite L. Brusset lui fit parvenir quelque temps après à Avignon ce dessin accompagné d'une relation historique. (...) elles avaient été trouvées dans la province de Saïd 13, non loin de la Mer Rouge, dans une pyramide, dont un des côtés s'était ouvert, transportées au Caire, malgré les difficultés d'un voyage de soixante jours, et, de cette ville, à Alexandrie par le Nil ; que le vaisseau qui les conduisait à Marseille, ayant fait relâche à Gênes, le prince Doria les avait visitées, et en avait offert une somme considérable. » Le père Kircher croit que ces statues représentent Serapis. Il consacre plusieurs pages à l'interprétation des hiéroglyphes dont elles sont couvertes.


Les deux sarcophages sont restés jusqu'en 1807 dans un niche aménagée pour eux sur la terrasse du château d'Ussé.


On trouve également une description détaillée dans le Recueil d'antiquités dans les Gaules14 de Félix Le Royer de la Sauvagère (1707-1782). Il les avait vues au château d'Ussé. Il leur consacre un long chapitre, reprend les renseignements donnés par le père Kircher et le père Brusset, et note que le voyageur Thévenot était allé les voir chez Fouquet à St-Mandé et qu'ils avaient suscité son admiration. L'ouvrage de La Sauvagère présente plusieurs planches gravées représentant différentes faces de l'un de ces sarcophages, avec un relevé précis des hiéroglyphes, ainsi qu'une lettre de Court de Gebelin à leur sujet.




Jean de Thevenot, ici vêtu à l'orientale sur une gravure en tête de son ouvrage, est venu à St-Mandé voir les sarcophages de Fouquet.


Notes :

1- D'un pays étranger.
2- Céphrim et Kiopès : Khephren et Kheops, dont bien évidemment ce ne sont pas les sarcophages, mais qui pour le poète sont représentatifs de l'Egypte antique. N'oublions pas que les pyramides de Gizeh sont déjà un incontournable des voyages en Egypte à cette époque ; et visiblement le marchand avait dit à Fouquet que les sarcophages provenaient d'une pyramide.
3- Orus : le dieu égyptien Horus.
4- Allusion aux difficultés de leur transport.
5- La Fontaine fait erreur, puisqu'en fait ils viennent de Thèbes. La connaissance de l'Egypte reste alors certes très floue, mais on savait que ces sarcophages venaient de Thébaïde. La Fontaine a voulu jouer sur les sonorités entre les noms Memphis et St-Mandé.
6- St-Mandé, près de Paris, était l'une des nombreuses propriétés de Fouquet, achetée en 1654 à Catherine de Beauvais, de l'entourage d'Anne d'Autriche. Fouquet avait fait rebâtir la demeure, entourée de jardins peut-être déjà confiés à Le Nôtre. Dans cette luxueuse demeure qui préfigurait ce que serait le château de Vaux-le-Vicomte, le surintendant recevait les grands de la cour et ses amis artistes et intellectuels, y tenant salon selon le goût du jour. Après son arrestation, en 1661, le domaine est saisi, et il sera vendu en 1705 à une communauté religieuse.
7- Pour Thevenot, voir à la page 251 de l'édition de 1674 des Voyages ; pour les autres, voir les notes ci-dessous.
8- Que je n'ai malheureusement pas encore pu vous retrouver.
9- Bien que Le Royer de la Sauvagère prétende qu'ils restèrent à St-Mandé jusqu'à la mort de Fouquet, en 1680.
10- Ce qui n'a rien d'étonnant puisque Le Nôtre faisait partie de l'entourage de Fouquet avant d'entrer au Service de Louis XIV.
11- Près de Chinon, en Indre-et-Loire. 
12- Syntagma XVI, de penatibus, laribus et separibus, tome III folio 477 cap. 2.
13- Nom égyptien de la Haute-Egypte.
14- Paris, édition de 1770, pp.329-377.

 

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30 juillet 2008 3 30 /07 /juillet /2008 07:50


Le Khedive Ismail, petit-fils de Mohammed Ali.


Lors de sa visite en France pour l'Exposition Universelle de 1867, le Khedive Ismail est fortement impressionné par les travaux entrepris à Paris sous la direction du baron Haussmann. Dès 1868, il s'inspire de ce qu'il a vu dans la capitale française pour lancer au Caire des travaux de grande envergure, auxquels ingénieurs, architectes, sculpteurs et paysagistes français vont prendre une large part. Cette atmosphère " parisienne " a laissé une empreinte dans le Caire moderne et montre bien les échanges qu'il y a pu y avoir dès cette époque entre les deux pays dans le domaine du goût architectural.

Pour son grand projet du centre d'affaires de l'Ezbekiyyeh et les lotissements résidentiels de l'actuel centre ville du Caire, le Khedive fait en effet appel à des Français : Jean-Antoine CORDIER (1810-1873), Alphonse DELORT de GLEON (1843-1899) et Pierre GRAND ( mort en 1918). Les concessions sont gratuites, sous réserve d'y construire sous un délai de 18 mois une habitation d'une valeur d'au moins 50 000 francs. Le cahier des charges s'inspire de celui mis en place à Paris.



L'Opéra du Caire, qui a disparu dans un incendie en 1971 (carte postale du début du XXe s. , coll. de l'auteur).


Le Khedive Ismail fait construire dans ce nouveau quartier l'Opéra du Caire, qui est inauguré en 1869 avec des invités de prestige venus du monde entier. Il fait également édifier un hippodrome, un Théâtre-Français et un cirque.

Pour orner les places, il fait également appel à des sculpteurs français, et non des moindres comme Alfred JARCQUEMART (1824-1896) et Charles CORDIER (1827-1905).


Ce projet de modernisation du Caire comprend également la création de parcs publics, de jardins botaniques et de promenades paysagées. Le Khedive Ismail avait en effet beaucoup apprécié les parcs parisiens lors de son voyage en France et demandé qu'on lui en envoie des plans. Pour ces réalisations, il recrute tout simplement d'anciens collaborateurs d'Haussmann, comme Gustave DELCHEVALERIE et surtout Pierre BARILLET-DESCHAMPS (1824-1873), que le Khedive nomma responsable du Service des Promenades et Plantations du Caire. La première grande réalisation dans ce domaine est le jardin public de l'Ezbekiyyeh (1870-1872), sur une surperficie de 8 hectares, conçu sur le modèle des parcs parisiens avec une rivières, un lac et des vallonnements artificiels, mais aussi un café, une brasserie, un kiosque à concerts, etc. Il fait ensuite réaliser à partir de 1872 les jardins de Gizeh, couvrant 75 hectares sur la rive gauche du Nil ; référence aux Buttes-Chaumont, il y fait dresser deux faux rochers reliés par une passerelle suspendue commandée à Gustave EIFFEL. Enfin, il fait établir le jardin d'acclimatation dans son domaine de Gezîra (à partir de 1868), sur 60 hectares, là encore inspiré des parcs parisiens avec des rocailles, des serres et des fabriques.




L'Ezbekiyyeh avant les travaux du Khedive Ismail (gravure de Prosper Marilhat, vers 1835, BNF, Paris).



L'impulsion donnée par le Khedive trouve un écho chez les notables égyptiens et ottomans, mais aussi chez les riches Européens vivant au Caire. Les résidences de style occidental se multiplient dans les nouveaux quartiers. Les plus appréciées à l'époque furent les constructions d'Ambroise BAUDRY (1838-1906), disciple de Garnier, qui exerça au Caire de 1871 à 1886 ; ce sont des bâtiments rappelant le style français Second Empire, comme un immeuble à arcades de l'Ezbekiyyeh ou l'hôtel particulier du banquier Raphael Suares. Baudry sera d'ailleurs employé par le Khedive lui-même, qui lui confia de 1875 à 1877 l'achèvement de son palais de Gizeh.


L'une des originalités de Baudry est d'avoir cherché à s'inspirer de l'architecture arabe, pour laquelle il se prit de passion. Ses plus célèbres réalisations de ce type sont sa propre demeure, la villa qu'il a construite en 1872 pour Delort de Gléon et le petit palais de Gaston de Saint-Maurice (devenu la Légation de France en 1884). Pour ces constructions, il réutilise des éléments anciens récupérés dans les chantiers de démolition, en particulier des plafonds ou des éléments architecturaux sculptés d'époque mamlûk ; il les mêle à des copies de motifs décoratifs inspirés de l'architecture historique du Caire.




La Villa de Delort de Gléon, construite par l'architecte français Ambroise Baudry dans un style néo-mamlûk.


Ainsi, ce qui avait commencé par une volonté de modernisation et l'importation de modèles français conduira à un échange qu'on pourrait trouver inattendu. Les architectes tels que Baudry et Delort de Gréon ont en effet contribué à une prise de conscience de la valeur et de l'intérêt de l'architecture des quartiers anciens du Caire. L'idée de sauvegarder les joyaux de l'architecture arabe du Caire est née. En 1881 est ainsi formé le Comité de Conservation des Monuments de l'Art arabe, auquel Baudry et d'autres Français prendront une part active. Et, juste retour des choses, cette architecture arabe du Caire va à son tour trouver un écho en France. A son retour, Baudry, par exemple, réalisera de nombreux " salons arabes " .


Nous reviendrons ultérieurement plus en détails sur chacun de ces lieux et monuments, dont beaucoup ont hélas disparu.





Orientations bibliographiques :

- "France-Egypte, Dialogues de deux cultures" , catalogue d'exposition, 1998.
-Marie-Laure LECONTE-CROSNIER & Mercedes VOLAIT, L'Egypte d'un architecte , Ambroise Baudry (1838-1906) , éd. Somogy, Paris, 1998.
- Mercedes VOLAIT dir. , Le Caire-Alexandrie, Architectures européennes 1850-1950, éd. CEDEJ/IFAO, 2001.


Liens :

- sur le site Egypte d'Antan, vous pourrez trouver des vues anciennes de cette partie du Caire et des lieux évoqués dans l'article.

- dans Beyt Kaaper, vous trouverez également une biographie du Khedive Isma'il.

 

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24 avril 2008 4 24 /04 /avril /2008 06:55

Peu le savent, mais c'est de Toulon que Champollion s'est embarqué pour l'Egypte, le 31 juillet 1828 ; c'est également par le port de Toulon qu'il transitera à son retour, du 23 décembre 1829 au 26 janvier 1830. Voici la première lettre qu'il écrit à son retour en France : 




La baie du Lazaret, où les navires effectuaient leur quarantaine dans la rade de Toulon : émouvant de penser que le grand Champollion a séjourné ici...


" Toulon, le 25 décembre 1829.

 


« Soyez sans inquiétude, tout ira bien ; » c’est en ces termes que je dis adieu à mes amis au moment de mon départ de Paris ; j’ai tenu parole, et me voici en rade de Toulon, subissant avec résignation le triste devoir de la quarantaine1. Ma campagne est donc finie, et tous mes voeux et les vôtres sont remplis. C’est le 23 décembre, dans la rade d’Hyères, que l’ancre de l’Astrolabe mordit enfin sur la terre de France ; c’est le jour anniversaire de ma naissance ; au 1er janvier vous aurez ma lettre pour vos étrennes ; il ne manque donc à ma satisfaction que d’avoir en main vos lettres, qui m’attendent sans doute ici ; j’espère pour tout cela dans les bontés habituelles de M. le préfet maritime.

 


Je ferai ma quarantaine à bord de l’Astrolabe, toutefois en prenant une chambre au lazaret2, dans le but de me chauffer et de faire un peu d’exercice. J’y reverrai mon Journal de voyage et j’y ajouterai ce qui y manque sur mon dernier séjour au Caire et à Alexandrie. La reconnaissance me fait un devoir de consigner dans ce journal tous les témoignages d’intérêt que j’ai reçus d’Ibrahim-Pacha3, et les marques non interrompues de la plus active protection de S.A. Mohammed-Aly, qui, le jour de la fête du roi, a ajouté à toutes ses bontés le présent d’un magnifique sabre.

 


C’est une tête qui travaille avec activité sur le passé et sur l’avenir : Son Altesse m’a demandé un abrégé de l’histoire de l’Égypte, et j’ai rédigé un petit mémoire, selon ses vues, qui paraît l’avoir vivement intéressé ; je lui ai remis aussi une note détaillée qui a pour objet la conservation des monuments principaux de l’Égypte et de la Nubie. J’espère que ces deux mémoires porteront leur fruit.4

 


Je ne saurais dire assez haut tout ce dont je suis redevable aux soins et à l’affection de M. Mimaut, notre consul général ; c’est un homme parfait, qui m’est allé au coeur, et n’en sortira jamais. J’ai recommandé de nouveau à ses bontés MM. Lhôte, Lehoux et Bertin, qui restent après moi à Alexandrie pour terminer leur panorama du Caire et faire les portraits du vice-roi et d’Ibrahim, son fils, qui l’ont désiré.

 


Le magnifique sarcophage5, le grand bas-relief du tombeau de Ménephtha, toutes mes caisses contenant les stèles, momies et autres objets destinés au Musée6, sont chargés sur l’Astrolabe ; j’espère que la douane épargnera ces propriétés nationales, et que je ne serai pas obligé de déballer vingt ou trente caisses qui nous ont déjà coûté tant de peine. Ce qu’il faudrait obtenir encore, c’est d’éviter le transbordement de ces monuments, et que M. de Verninac7 soit chargé de conduire le chargement de l’Astrolabe dans le port du Havre aussitôt que la saison le permettra, vers les premiers jours de mars, je pense, pour être en avril au Havre, d’où un chaland emporterait le tout par la Seine devant le Louvre. Par ce moyen fort simple et pour lequel il suffira d’un ordre de M. le ministre de la marine, on ne compromettrait pas, par deux ou trois transbordements, la conservation de ces richesses monumentales, qui serviront à compléter les salles basses du Musée.

 


Après ma sortie de quarantaine, je resterai trois jours à Toulon, j’en passerai quatre à Marseille, d’où je me rendrai à Aix, pour étudier les papyrus de M. Sallier8. Ce sera une petite séance égyptienne, et j’espère en reprendre l’habitude journalière à Paris ; c’est un sort, et je m’y résigne sans peine.... Adieu. "



(in Lettres écrites d'Egypte et de Nubie en 1828 et 1829, Lettre XXV)







Notes :

1- En raison des riques d'épidémies, en particulier par peur de la peste, tous les navires en provenance du Levant étaient tenus d'effectuer une quarantaine, dont la durée était variable ; nul passager ou membre d'équipage n'était autorisé à descendre à terre, et rien ne pouvait être déchargé. Le tout se faisait sous le contrôle des autorités sanitaires.

2- Le Lazaret de Toulon, où s'effectuait la quarantaine des navires, se trouvait dans la baie qui porte encore ce nom, sur la commune de La Seyne sur Mer. Le quartier était alors pratiquement inhabité et suffisamment éloigné de la ville, tout en offrant un abri à l'intérieur de la rade pour les bateaux.

3- Fils du Wâli d'Egypte Mohammed Ali.

4- En effet, Mohammed Ali prendra des mesures visant à protéger le patrimoine archéologique égyptien, marquant ainsi la naissance de la conscience de son peuple pour son patrimoine, même s'il faudra attendre encore longtemps avant que les pillages systématiques ne cessent.

5- Le sarcophage de Zeher (Djedhor), qu'il acheté au ministre égyptien MaHmood Bey.

6- Le musée du Louvre, dont Champollion est chargé du département d'égyptologie.

7- Raymond de Verninac Saint-Maur (1796-1873), officier de marine qui dirigera également plus tard l'expédition chargée de ramener en France l'obélisque de Louqsor.

8- Collectionneur d'Aix qui avait rassemblé dans les années 1820 des papyrus qui sont aujourd'hui conservés au British Museum.

 

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31 mars 2008 1 31 /03 /mars /2008 06:50

Clot Bey, qui souhaitait une reconnaissance, voit se multiplier les décorations et les honneurs des plus grandes nations européennes et est admis dans un grand nombre de sociétés savantes. Le pape Pie IX lui confère même le titre de comte romain en 1851, titre que Napoléon III l'autorisera plus tard à porter en France avec des armoiries de sa création. Mais dans le même temps sa carrière en Egypte touche à sa fin.



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Portrait de Clot Bey en costume officiel, avec ses nombreuses décorations qui constituent pour lui une revanche sur les années où il avait été méprisé par la bourgeoisie marseillaise en raison de ses origines modestes.



En 1848, son ami Mohammed Alî est contraint d'abdiquer en faveur de son fils Ibrahîm, lui aussi ami de Clot Bey ; malheureusement, le prince ne règnera que 40 jours et Abbâs Hilmi Ier qui lui succède. Ce dernier renvoie de nombreux Européens et démantèle peu à peu tout ce qui avait été mis en place par Mohammed Alî. Clot Bey est disgrâcié et demande sa retraite. C'est ainsi qu'il est de retour à Marseille, où il s'installera, en avril 1849 : il y apprend la mort de son ami et protecteur Mohammed Alî. Une page se tourne... pour toujours ?


En 1851, il est fait Commandeur de la Légion d'Honneur. Quand Abbâs Hilmi pasha est assassiné en 1854, c'est à nouveau un fils de Mohammed Alî qui lui succède : Mohammed Saïd. Celui-ci, qui a eu pour précepteur un autre Français célèbre, Ferdinands de Lesseps, rappelle en Egypte Clot Bey, lui rendant ses titres et fonctions. Et c'est ainsi que notre médecin provençal est de retour au Caire en novembre 1854 ; il s'attache à restaurer l'oeuvre que Mohammed Alî et lui avaient accomplie.



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Mohammed Saïd Pacha, fils de Mohammed Alî qui a été l'élève de Ferdinand de Lesseps et est francophile comme son père, rappelle Clot Bey en Egypte.


Il rentre en France en 1858, définitivement cette fois. En 1859, il est très affecté par le décès de son épouse. Il s'attache désormais à l'image qu'il souhaite laisser pour la postérité. En 1860, il est reçu à l'Académie de Marseille. Lors de son séjour en Egypte, il a réuni une impressionnante collection d'antiquités égyptiennes, qu'il a ramenée avec lui à Marseille ; si une partie de la collection est offerte au Louvre, l'essentiel en revient à la ville de Marseille, qui transforme pour elle le château Borély en musée dès 1861 : la collection Clot Bey de Marseille, transférée en 1986 dans les salles archéologiques de la Vieille Charité, est la plus riche collection égyptologique de province et certaines pièces ne trouvent d'égal qu'au Louvre ou au British Museum.




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Portrait de Clot Bey âgé, alors qu'il est définitivement rentré en France après avoir accompli en Egypte un travail colossal dont les Egyptiens lui sont toujours reconnaissants.


Clot Bey meurt d'apoplexie le 20 août 1868 dans sa bastide de Ste-Marthe , à l'âge de 75 ans. Il est inhumé au cimetière St-Pierre de Marseille, dans un tombeau orientalisant qui rappelle sa carrière en Egypte. S'il a doté l'Egypte, avec le soutien de Mohammed Alî, du système médical le plus moderne du Mashreq, et si les Egyptiens lui restent reconnaissants de l'oeuvre accomplie, il est hélas trop souvent oublié dans son propre pays. Faites l'expérience en tapant son nom dans un moteur de recherche...



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La table Clot Bey, table d'offrande de Kenhihopshef, qui fait partie de la riche collection égyptologique que Clot Bey a léguée à la ville de Marseille et est aujourd'hui exposée au musée de la Vieille Charité, où Clot Bey avait d'ailleurs travaillé avant son départ pour l'Egypte.



Un mot sur ses écrits :

Clot Bey a laissé durant toute sa carrière de nombreux écrits, avec pas moins de 30 publications entre 1820 et 1866 !

Son Trésor de la Santé (1835), ouvrage de vulgarisation, est largement diffusé de son vivant dans tout le Mashreq.

Mais son principal écrit reste son Aperçu général sur l'Egypte, publié en 2 volumes en 1840, qui le fait reconnaître par les intellectuels de son temps. Il s'attache à rendre hommage à Mohammed Alî, auquel il restera toujours fidèle. Ses descriptions géographiques et ses observations météorologiques sont d'une grande précision. Il s'attache aussi à montrer un autre visage de l'Islam, soulignant par exemple le rôle bénéfique des pratiques religieuses telles que les ablutions ou la prohibition de l'alcool, mais aussi citant le Coran pour montrer la tolérance de l'Islam envers les chrétiens ; cette ouverture d'esprit est inhabituelle chez ses contemporains, et même encore aujourd'hui d'ailleurs. Enfin, il rend aussi hommage à ce peuple qui l'a accueilli et qu'il aime, dans une partie consacrée à l'organisation sociale et familiale. Dans le 2e volume, il évoque le mobilier, les usages sociaux, mais aussi littérature et poésie, musique et danses. Un intérêt pour tous les aspects de la société égyptienne, qui là encore est précurseur et assez inhabituel chez un Occidental de son époque.



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Amulette funéraire portant l'oeil oudjat, l'une des merveilles égyptologiques offertes par Clot Bey en 1852 au musée du Louvre.



Références et liens :

Les deux précédents articles sur le blog : Les débuts et l'organisation de la médecine militaire et La Consécration .

Comme je le disais dans l'article, Clot Bey est de façon très surprenante peu évoqué sur le Net. La Faculté égyptienne de Médecine de Kasr el-Ayn lui consacre cependant un très intéressant article.

Pour les écrits, outre ceux de Clot Bey lui-même, je vous conseillerai la lecture de l'excellent article que lui consacre Rémy Kertenian, " L'Oeuvre de Clot-Bey, médecin marseillais ", dans le catalogue d'exposition consacré par la Bibliothèque municipale de Marseilleà un autre Marseillais lié à l'Egypte (dont nous reparlerons, bien entendu) : Pascal Coste, toutes les Egypte, éd. Parenthèses - Bibliothèque Municipale de Marseille, 1998.

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29 mars 2008 6 29 /03 /mars /2008 06:58

Dans le précédent article, nous avions laissé Antoine Clot au moment où il se préparait à réorganiser la médecine civile égyptienne, comme il l'avait fait précédemment pour la médecine militaire. Les problèmes sanitaires sont alors nombreux en Egypte, où éclatent souvent des épidémies meurtrières (35 000 morts au Caire lors de l'épidémie de choléra de 1831, par exemple, ou les 60 000 morts que fait chaque année la variole dans le pays) et où les interdits religieux compliquent l'accès des femmes aux soins.

Il commence par réorganiser les hôpitaux déjà existants, puis crée des bureaux pour des consultations gratuites au Caire et à Alexandrie. Désormais, surtout, chaque chef-lieu de province est doté d'un petit hôpital dirigé par un médecin doublé d'un pharmacien, ce qui représente un progrès considérable. Pour enrayer les ravages de la variole, il parvient à diffuser largement la vaccination par inocculation, montrant lui-même l'exemple. La consécration auprès du peuple égyptien vient définitivement en 1831, lorsqu'éclate au Caire une terrible épidémie de choléra ; son dévouement et son énergie lui valent la reconnaissance sans bornes de la population, et Mohammed Alî lui confère le titre de Bey, qui n'avait jamais été attribué à un non-musulman. C'est désormais sous le nom de Clot Bey qu'il peut  d'ores et déjà passer à la postérité.


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Clot Bey pratique sur lui-même l'inocculation, afin de montrer que l'opération ne présente aucun risque ; grâce à sa campagne de vaccination, la variole va être désormais en recul en Egypte.


Clot Bey agit aussi en faveur des femmes. En 1832, il parvient à créer à l'hôpital Abû Za'bal une école de sages-femmes ; les musulmanes ne pouvant recevoir un enseignement par des hommes, encore moins des chrétiens, il a l'idée géniale de former 10 esclaves abyssiniennes, placées sous la direction d'une sage-femme des hôpitaux de Paris. Elles apprennent les soins infirmiers, les techniques modernes d'accouchement et la vaccination. Par la suite, Mohammed Alî réussit à faire accepter dans cette école des étudiantes musulmanes !

En 1832 toujours, Clot Bey est envoyé en mission en France par le Pasha ; il est accompagné de 12 de ses meilleurs élèves égyptiens, qui complèteront leur formation à la Faculté de Médecine de Paris. Tous obtiennent leur diplôme, et Antoine Clot est admis à l'Académie Royale de Médecine et fait chevalier de la Légion d'Honneur. Clot Bey met à profit son séjour en France pour aller rendre visite à sa famille, à Marseille. Il tient sa revanche sur les années sombres, car il est reçu partout avec honneur. Enfin, en mars 1833, Louis-Philippe le reçoit en audience privée, car Clot est également chargé d'une mission secrète par Mohammed Alî.

A son retour en Egypte, Clot Bey se remet au travail. Il quitte son poste de directeur de l'hôpital Abû Za'bal pour devenir président du Conseil de Santé et Inspecteur Général du Service Médical. En 1835, Mohammed Alî lui confère de nouveaux honneurs pour avoir maîtrisé une terrible épidémie de peste, et il publie " Trésor de Santé ", ouvrage dans lequel il explique comment lutter contre les maladies les plus répandues en Egypte.


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L'hôpital de Kasr el-Ayn, qui abrite aujourd'hui la Faculté de Médecine du Caire, est une des créations que Clot Bey a léguées à l'Egypte.


En 1837, le complexe d'Abû Za'bal est dissout et les institutions transférées au Caire. Clot Bey aurait préféré leur installation à Alexandrie, à la fois pour la référence au rôle culturel de la ville dans l'Antiquité et surtout pour se soustraire à la pression des autorités religieuses. L'hôpital militaire est finalement installé à Kasr el-Ayn, qui est encore aujourd'hui la Faculté de Médecine du Caire. L'ancien hôpital militaire du Caire dans le quartier de l'Esbekieh est alors transformé en hôpital civil ; c'est alors le plus vaste du Moyen-Orient, avec une maternité et les écoles de Médecine, de Pharmacie et de Sages-Femmes, ainsi qu'un service pour les aliénés.



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Cours de chirurgie dispensé par Clot Bey à Kasr el-Ayn. 

Lors de vacances en France, il épouse à Marseille, à l'âge de 47 ans, Charlotte Gavoty, qui lui donnera 3 enfants ; sa vie privée est passée après sa carrière. De retour au Caire, il crée en 1840 le Service médico-hygiénique des Provinces, dont les missions sont : le dessèchement des eaux stagnantes, le nivellement des tas de décombres, la surveillance des industries insalubres et l'entretien des lieux publics.



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Serment prêté par les médecins égyptiens au terme de leurs études à Abû Za'bal, document de 1832 des Archives Municipales de Marseille.


En 15 ans, Mohammed Alî et Clot Bey ont doté l'Egypte d'un système médical comptant parmi les plus modernes de leur temps. Un juste retour des choses, si on y songe : ce monde musulman qui avait apporté à l'Europe médiévale ses extraordinaires avancées médicales reçoit à son tour d'un Français l'aide pour moderniser son sytème sanitaire.

(à suivre...)
(références et liens dans le dernier article de la série)
 

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27 mars 2008 4 27 /03 /mars /2008 16:09

Antoine Barthélémy Clot ( 1793-1868 ), plus connu sous le nom de Clot Bey que lui ont donné les Egyptiens, est l'un de ces Provençaux qui se sont illustrés en Egypte. Un destin étonnant qui le mène de Marseille et Brignoles aux rives du Nil.




L'image que l'on a de Clot Bey, tel qu'il a été peint par le baron Gros à l'époque de sa gloire ; dans le fond, l'hôpital qu'il a fondé au Caire. Amoureux de l'Egypte, il adopte le costume turquisant de la cour du Pacha.


S'il naît à Grenoble, c'est à cause de la profession de son père, qui est militaire, mais ses racines sont en Provence. Adolescent, il découvre la médecine chez un ami de son père, le docteur Sapey, ancien médecin militaire, à Brignoles, dans le Var. Puis, en 1812, il se rend à Marseille et entre en apprentissage chez un barbier. Il s'oriente vers des études de médecine qui vont sceller son destin sans qu'il le sache encore : il est admis comme élève externe à l'Hôtel-Dieu de Marseille, devient interne en 1816. Marseille, la porte de l'Orient. Il est rapidement officier de santé pour le port, en 1817, puis obtient son doctorat en médecine à Montpellier en 1820. Il se lie d'amitié avec le professeur Lallemand, qui l'aidera toute sa vie. Devenu chirurgien, Clot enseigne bientôt la chirurgie et l'anatomie à Marseille, menant une brillante carrière au sein des hôpitaux de la ville, en particulier à la Vieille Charité. Mais il se heurte au mépris de la bourgeoisie locale, et démissionne de ses fonctions hospitalières en 1822. Il ouvre alors un cabinet privé qui rencontre un grand succès.



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Le port de Marseille vers 1820, tel que Clot Bey a dû le voir en s'embarquant pour l'Egypte en 1825.


C'est en 1825 qu'il s'embarque pour l'Egypte. Le marchand marseillais Florent Tourneau a en effet été envoyé à Marseille par le Wâli d'Egypte Mohammed Alî pour recruter des officiers instructeurs et des médecins. Clot s'embarque le 21 janvier 1825 sur " La Bonne Emilie " et arrive au Caire le 11 février. Il a emporté avec lui sa bibliothèque et un squelette humain préparé par les bagnards de Toulon, et est accompagné de 20 médecins qui seront placés sous ses ordres. Ambitieux et décidé à prendre sa revanche sur ceux qui l'avaient méprisé, il a l'espoir de faire en Egypte les grandes choses qu'il n'a pu réaliser à Marseille. Mais il va sans le savoir entrer parmi les Français les plus illustres ayant coopéré avec l'Egypte.

Ami de longue date d'un marchand marseillais, Mohammed Alî  a une grande sympathie pour les Français et ils sont nombreux dans son entourage ; de plus, les Marseillais sont présents en Egypte depuis le Moyen Age, ce qui favorise leurs relations avec les Egyptiens. Clot n'arrive donc pas dans un pays totalement inconnu. Son contrat initial prévoyait un séjour de 5 ans : il sera en fait prolongé jusqu'en 1849 ! L'Egypte du début du XIXe s. est bien éloignée des brillantes réalisations médicales du monde musulman médiéval, et ce que le Pasha veut réaliser dans ce domaine est une tâche considérable. La première mission dont s'acquitte Clot est la création du Conseil de Santé, puis il met en place les services de Santé militaire sur le modèle français. Lorsqu'il parvient à soigner Mohammed Alî d'une gastro-entérite, Clot devient non seulement le médecin privé du Wâli, mais aussi son ami personnel : belle revanche, déjà, sur les bourgeois de Marseille !




Le Pacha Mohammed Alî, considéré comme le père de l'Egypte moderne ; ami et protecteur de Clot Bey, il va lui permettre de placer l'Egypte au premier rang de la modernité sanitaire au Mashreq.


Clot crée près du Caire pour les troupes du Pasha le centre hospitalier d'Abû Za'bal, dont il dessine lui-même les plans et qui est inuaguré en 1827. Dans le même temps, il crée un hôpital militaire pour la Marine à Alexandrie. Il fonde au sein de l'hôpital Abû Za'bal une école de Médecine, car son but est de permettre à terme aux Egyptiens de gérer eux-mêmes leurs hôpitaux, et non de les rendre dépendants de puissances étrangères. Le gouvernement prend entièrement en charge les besoins matériels des étudiants, qui suivent un cursus de 6 ans dont les cours, assurés par des Français ou des Italiens, sont dispensés en arabe grâce à l'intervention d'interprètes ; là encore, Clot montre un respect des Egyptiens qui n'est pas courant à son époque. En plus de l'école, il dote Abû Za'bal d'un jardin botanique, d'un cabinet d'Histoire Naturelle et d'une bibliothèque qui dispose de tout ce qui paraît alors en Europe, traduit en arabe par une équipe spécialement recrutée à cette fin.

Clot se heurte bientôt, malgré sa prudence, à l'hostilité des religieux sur la question de la dissection, alors interdite par l'Islam ; pour calmer les choses, Clot utilise les cadavres d'esclaves non-musulmans. Il bénéficie du soutien inconditionnel de Mohammed Alî, qui parvient à convaincre le sheykh el-Aroussy que cette pratique est nécessaire pour les progrès de la science médicale. Ce qui n'empêche pas Clot de manquer d'être poignardé par un étudiant lors d'une séance de dissection.


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Le centre hospitalier d'Abû Za'bal, près du Caire, la grande réalisation de Clot Bey et Mohammed Alî, qui est à l'origine de l'actuelle Faculté de Médecine du Caire.


En 1830, il fait transférer à Abû Za'bal l'école de Pharmacie du Caire, créée en 1828. Après avoir organisé la médecine militaire, il va désormais s'attaquer au problème de la médecine civile, sur le même modèle.

(à suivre...)
(références et liens dans le dernier article de la série) 

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14 mars 2008 5 14 /03 /mars /2008 06:59

Charles X, qui succède à son frère, entretient de bonnes relations avec Mohammed Ali, lequel s'entoure d'ailleurs de nombreux Français au Caire. Diplomates français et anglais rivalisent d'influence auprès du maître de l'Egypte.




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Charles X poursuit le projet de faire venir en France un obélisque d'Egypte ; c'est sous son règne que s'opère le changement de l'obélisque d'Alexandrie vers celui de Louqsor, sur la suggestion de Champollion.


En 1829, Champollion a rendu un rapport dans lequel il préconise de demander au moins l'un des obélisques du temple de Louqsor au lieu de celui d'Alexandrie déjà offert par le vice-roi. En fait, Mohammed Ali est disposé à donner à la France à la fois l'obélisque d'Alexandrie et les deux obélisques de Louqsor. Le ministre de la Marine de Charles X, le baron d'Haussez, s'est rangé à l'avis de Champollion ; mais il cherche à s'attribuer le mérite du projet. Il convoque une réunion dans son bureau le 19 novembre 1829 pour examiner la question du transport. A l'issue de cette réunion, il suggère à Charles X d'envoyer en Egypte le baron Taylor pour négocier l'échange de l'obélisque d'Alexandrie contre ceux de Louqsor, ou mieux encore d'obtenir les trois. Il écrit au roi : "Paris, qui ne le cède qu'à une seule des capitales de l'Europe moderne, le disputera bientôt aux villes les plus célèbres des temps anciens ; mais ses palais et ses places publiques n'ont pas encore, il faut l'avouer, atteint le degré de splendeur auquel est parvenue Rome, dont la capitale de votre royaume se montre d'ailleurs la rivale en magnificence. On n'y voit aucun de ces obélisques transportés d'Egypte en Europe..." A nouveau la comparaison avec Rome, et ses obélisques antiques.




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Le baron d'Haussez, ministre de la Marine de Charles X en 1829, cherche à hâter l'affaire de l'obélisque de Louqsor pour pouvoir s'en attribuer les mérites.


Le baron Taylor est effectivement envoyé en Egypte au printemps de 1830, avec un navire spécialement chargé de ramener un premier obélisque. C'est là qu'intervient un nouveau coup de théâtre : le consul général anglais réclame l'un des obélisques de Louqsor, qui aurait été promis à son prédécesseur. Mohammed Ali, qui veut ménager les deux puissances européennes, est embarrassé : doit-il remplacer le cadeau promis à Charles X par un autre obélisque, comme celui de Matariyeh ? Ou doit-il donner l'un des obélisques de Louqsor à la France et l'autre à l'Angleterre ? Le consul général de France en Egypte, Jean-François Mimaut, sur une idée habile de Champollion, propose une autre solution et suggère au vice-roi d'Egypte de donner aux Anglais l'obélisque de Karnak, qui est bien plus beau encore, et ceux de Louqsor à la France, qui ne sauraient être séparés. "Vous avez promis aux Anglais un des obélisques de Thèbes. Faites-leur don de celui de Karnac qui est connu pour le plus grand et le plus beau de tous, et dont ils seront très fiers, et offrez au Roi de France, qui vous en saura gré, les deux obéliques de Luxor."



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Mohammed Ali
trouve l'idée excellente et accepte. Habile, car en fait les Anglais viennent d'être floués par Champollion : l'obélisque de Karnak se trouve au milieu de constructions antiques qu'on ne saurait détruire pour l'extraire ; il ne quittera jamais l'Egypte.



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En 1830, alors que les négociations pour l'obélisque avancent, Charles X est brusquement renversé et remplacé par Louis-Philippe. Ce changement politique fait craindre que l'Angleterre n'en profite pour essayer d'obtenir à son profit l'obélisque de Louqsor.


Des nouvelles graves arrivent bientôt de France. Les élections de juillet 1830 ont été un désastre pour le gouvernement, l'insurrection gronde, et Charles X est bientôt contraint d'abdiquer. On a proclamé à Paris une monarchie constitutionnelle et nommé le duc d'Orléans roi des Français, sous le nom de Louis-Philippe. Le consul Mimaut voit le danger que cela représente pour le projet de l'obélisque et préfère prendre les devants. Il fait valoir que le cadeau de Mohammed Ali a été fait à la France, non à Charles X personnellement. Le wâli d'Egypte approuve, et accepte même de le confirmer par écrit. Son ministre des Affaires Etrangères, Boghos Youssoufian, écrit au ministre de la Marine français, le comte Horace Sebastiani : "Je suis ordonné par Son Altesse de mettre les trois monuments cités à la disposition de S. M. le roi des Français dès ce moment, et votre Excellence est priée de bien vouloir en faire hommage à S. M. au nom de S. A. le vice-roi Mehmet Aly Pacha." Les trois monuments en question, ce sont bien sûr l'obélisque d'Alexandrie et les deux obélisques de Louqsor.



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De l'obélisque d'Alexandrie, que voici vers la fin du XIXe s. avant son départ pour New-York, qui avait été offert à l'origine, la France est passée à celui de Louqsor.



Ainsi, à l'issue d'une histoire pleine de rebondissements, c'est finalement Louis-Philippe qui va concrétiser le projet que la France caressait depuis si longtemps. Ne reste plus qu'à s'occuper du transport.




ligne-obelisques_vert.gif



Références :

Comme pour les autres articles de la série, je vous recommande particulièrement un livre passionnant, disponible en format de poche :
Robert SOLE, Le Grand Voyage de l'obélisque , éd. du Seuil , coll. Points Histoire n° H360, Paris, 2004.

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  • : Une demeure perdue quelque part entre rêve et réalité, dans les sables du désert égyptien ou sur les flots de la Méditerranée. Tournée vers l'horizon, les horizons divers... Les horizons de l'Est et de l'Ouest, comme disaient les anciens Egyptiens... Une demeure un peu folle, pour abriter des rêves un peu fous, des passions, des émotions, des coups de coeur...
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