Tous les ans, en hiver, on voit apparaître dans le ciel des nuages aux formes mouvantes, des nuages vivants aux centaines d'ailes qui battent en rythme saccadé. Les arbres aux branches dégarnies se couvrent d'un feuillage de plumes, aux petits cris stridents. Les étourneaux sont de retour. Autrefois, la région côtière toulonnaise était essentiellement composée de marécages et ces migrateurs y trouvaient un refuge idéal et de la nourriture en abondance. Au fil des siècles, les hommes ont asséché les marécages, pour y établir leurs cultures, mais aussi leurs villes - une grande partie de la ville de Toulon est elle-même construite sur des marécages asséchés par les Romains, puis sous Henri IV et Louis XIV. Mais les étourneaux ont gardé l'habitude transmise par leurs ancêtres et viennent toujours hiverner ici ; tant pis si leurs marécages ont disparu, ils ont trouvé d'autres sources d'approvisionnement et tout arbre leur est bon pour se percher. Le matin, on les voit s'envoler en nuages compacts vers la campagne avoisinante à la recherche de nourriture, formant dans la pâleur du ciel d'hiver des figures dignes d'acrobaties aériennes ; et le rituel reprend le soir, lorsqu'ils reviennent en ville nicher pour la nuit.
En France, l'étourneau est considéré comme " nuisible ", on lui déclare la guerre, on prend des mesures pour le chasser ; stupidité des hommes occidentaux qui ont coupé leurs liens avec la nature et ne savent plus apprécier un spectacle que les siècles et le " progrès " n'ont pas encore anéanti. On se plaint des fientes (certaines années, quand ils sont nombreux, certains trottoirs en sont couverts, il est vrai), mais après tout cela nous change des crottes de chien au sujet desquelles on trouve moins à redire. On se plaint du bruit de ces milliers de petits gosiers ; pourtant il est bien plus agréable que le tumulte de nos voitures...
Personnellement, j'aime cette saison où reviennent les étourneaux, elle fait partie de ces hivers que j'ai toujours connus. C'est une occasion de méditer sur la vanité de la puissance que l'humain exerce sur le monde : bien que nous cherchions à dominer la nature à tout prix, elle conserve ses droits millénaires et se fiche bien de nos prétentieuses inventions. Nos villes auront depuis longtemps disparues que les étourneaux reviendront encore et encore pour la saison d'hiver... A moins qu'on ne les ait d'ici là exterminés ; chaque année, ils sont moins nombreux, et le spectacle de leur rassemblement migratoire n'est plus que le pâle reflet de ce qu'il a été.
Le ciel du Caire a le soir ses vols de pigeons ; celui de Toulon a en hiver ses vols d'étourneaux. Entre les deux, il y a un gouffre de différence dans l'approche de la présence de l'animal en ville... A méditer aussi, non ?
Liens et compléments :
Pour en apprendre plus sur l'étourneau sansonnet, voici un lien qui vous présentera cet oiseau qui anime notre ciel hivernal.